Dans sa réunion du 26 mai 2011, le conseil de surveillance de la Société du Grand Paris (SGP) a adopté, à l'unanimité, son "avis motivé" suite au débat public sur le réseau de transport du Grand Paris. Cet avis motivé comprend le schéma d'ensemble pour le tracé et les gares du futur réseau "Grand Paris Express", qui avait fait l'objet de l'accord entre l'Etat et la Région Ile-de-France, intervenu le 26 janvier 2011, quelques jours avant la fin des débats publics sur le réseau de transport du Grand Paris, promu par l'Etat, et le réseau Arc Express, proposé par la Région.
Rappelons que le conseil de surveillance de la SGP est composé de onze représentants de l'Etat, du président du Conseil régional et des présidents des Conseils généraux des huit départements franciliens, dont le maire de Paris.
Le réseau de transport présenté se compose de trois lignes de métro automatique de 175 km et de 72 gares, dont 57 nouvelles ; il est représenté sur la carte ci-dessous :
La ligne bleue relie Orly à St. Denis Pleyel en prolongeant l'actuelle ligne 14. La ligne rouge est une rocade en proche couronne Le Bourget – Clichy-Montfermeil – Villejuif – La Défense – Roissy. La ligne verte, qui dessert le plateau de Saclay et au sujet de laquelle l'Etat et la Région avaient acté leur désaccord le 26 janvier, a changé de nature : au lieu d'un métro lourd souterrain, on prévoit maintenant un "métro léger" aérien de type VAL avec trois arrêts sur le plateau au lieu d'un seul : à Polytechnique, au Moulon et au CEA. Cette ligne relie Orly à Versailles, avec un hypothétique prolongement vers Nanterre après 2025.
En effet, bien que la SGP ne veuille pas entendre parler de phasage de son projet, le schéma suivant montre que certaines lignes sont prévues pour ouverture en 2018, d'autres en 2025 (dont la ligne Orly-Versailles), le reste étant plutôt indiqué pour mémoire.
A noter que, dans son discours "Le Grand Paris, 4 ans après" du 10 octobre 2011 à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine, le Président de la République a déclaré : "Afin de créer les conditions favorables à l'arrivée d'institutions prestigieuses sur le plateau [de Saclay], je demande aux ministres concernés d'examiner les moyens permettant d'assurer une desserte par métro automatique le plus rapidement possible et en tout cas avant 2018."
Cela nous semble relever du rêve...
Dans une transcription du texte de l'avis motivé, tel que publié au Journal officiel du 25 juin 2011, nous avons surligné en rouge les principales décisions et en jaune tous les éléments d'information concernant la desserte du plateau de Saclay.
L'avis motivé de la SGP comprend également une "déclaration au titre du Code de l'environnement", dans lequel la loi du Grand Paris oblige la SGP à expliquer comment ont été prises en compte les très nombreuses contributions au débat public. Sans surprise, on n'y trouve aucune trace des avis des experts indépendants.
Il importe de rappeler que le Grand Paris Express n'est pour l'heure qu'un projet et ceci jusqu'à ce que l'utilité publique soit prononcée pour chaque ligne ; dans la meilleure hypothèse, la première enquête d'utilité publique aura lieu début 2013 et, sauf manipulation, le résultat d'une enquête publique n'est pas fixé d'avance. Différents événements politiques et économiques sont susceptibles d'infléchir le cours des choses. En particulier, le problème de son financement n'est pas le moindre obstacle à la réalisation du projet.
Le coût d'investissement de l'ensemble du projet Grand Paris Express est évalué à 20,5 milliards d'euros. Pour financer cette dépense colossale, l'Etat devrait engager 4 milliards d'euros et les collectivités près de 1,5 milliard, que compléteront des taxes sur les bureaux. L'idée de taxer les plus-values immobilières réalisées autour des futures gares n'est plus à l'ordre du jour. En outre, la SGP contractera un emprunt à long terme de 9 milliards d'euros. Voici la répartition envisagée :
Mais ce financement ne représente que le sommet de l'iceberg. D'abord, l'amélioration des infrastructures de transport existantes, dont les débats publics avaient confirmé l'impérieuse nécessité, impliquera une dépense supplémentaire de 12 milliards d'euros. Ensuite, les estimations de l'Etat n'incluent ni les frais de raccordement du nouveau réseau au réseau existant, ni ceux de la création du réseau de desserte capillaire autour des gares. Enfin, pour des travaux de cette envergure, l'expérience montre que les dépassements sont la règle et non l'exception. En effet, comme le rappelle l'économiste Vincent Benard dans son article "Métros autour du Grand Paris : mégaprojets, mégarisques" publié dans le revue Le Rail d'avril 2011, une étude du chercheur danois Bent Flyvbjerg montre que pour un grand projet d'infrastructures routières ou ferroviaires la probabilité de voir ses coûts sous-estimés est de 86 % et le taux moyen de sous-estimation d'un grand projet ferroviaire est de 45 %. Eurotunnel, OrlyVAL et EOLE (RER E) présentent des exemples notoires de dépassement. Rappelons également le rapport de la Cour des comptes de novembre 2010 qui constate que "l’augmentation moyenne du coût prévisionnel d’un projet entre le montant inscrit au contrat de plan Etat-Région 2000-2006 et son coût final une fois mis en service atteint 92 %". Il est donc vraisemblable que la France se situe au-dessus de la moyenne.
Et personne ne semble s'inquiéter des frais de fonctionnement et d'entretien qu'amènera ce nouveau réseau. Aujourd'hui, le budget du STIF est de l'ordre de 8 milliards d'euros, dont seulement 30 à 40 % est couvert par la billetterie, le reste étant à la charge des entreprises (par le versement transport) et des collectivités (région et départements). La seule évaluation connue des charges d'exploitation est celle du rapport Carrez de septembre 2009, relatif au projet du Grand 8 ; pour la période 2010-2025, ce rapport évalue les frais de fonctionnement des réseaux franciliens à 43 milliards d'euros : 24 milliards d'euros pour la dérive continue de déficit du réseau actuel et 19 milliards d'euros de besoins complémentaires de fonctionnement pour le nouveau réseau.
Certes, on ne doit pas lésiner sur les investissements d'avenir. Comme le disait le Président de la République, lors de l'inauguration de Roissy 3 en juin 2007 (avant la crise), au sujet du financement des infrastructures : "ce n’est pas une honte de s’endetter pour cela, car cette dette-là ne finance pas le présent mais l’avenir. Elle représente un passif, mais aussi un actif. Le tout est que la valeur de cet actif justifie celle du passif." Mais justement... rien ne permet d'affirmer, au-delà des formules incantatoires, que le projet du Grand Paris améliorera réellement les perspectives d'avenir de l'Ile-de-France et encore moins celles de la France.
En outre, est-il besoin de rappeler que la crise économique n'est pas derrière nous ?
Dans son récent article "Les comptes fantastiques du Grand Paris", l'urbaniste Frédéric Léonhardt qualifie le coût astronomique du Grand Paris Express de "Grand Canyon financier" et souligne qu'un pays déjà lourdement endetté ne peut se permettre de créer de nouveaux déficits publics. A son avis, "tous les ingrédients d'un crash industriel public sont réunis." Avant lui, Jean-Pierre Orfeuil, urbaniste et spécialiste des mobilités urbaines, avait déjà, dans sa contribution au débat public, conseillé de rappeler à la SGP la mention qui figure sur les offres de prêt : "Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager." Cependant, comme la SGP est dotée d'une large autonomie de fonctionnement, a-t-on les moyens de l'empêcher de dépenser sans compter ? Qui surveille son Conseil de surveillance ?
A certains égards, ce projet fait penser à celui de la Ligne Maginot : imposé au pays par la volonté d'une poignée d'individus, et avalisé par un parlement docile, il s'est avéré extrêmement coûteux, inadapté et inutile.
Il n'est peut-être pas inutile de relever la déclaration de Maurice Leroy, ministre de la Ville et responsable du Grand Paris, en marge de la décision du 26 mai 2011 : "ce projet nous dépasse tous."