Dans son édition du 20 février 2023, sous la plume du journaliste Alexandre-Reza Kokabi, le journal en ligne Reporterre publie un excellent article intitulé Grand Paris Express : la rentabilité des futures lignes de métro contestée. Cet article – certes assez court mais fournissant tous les éléments de contexte à travers des liens – fait suite à la tribune Lignes 17 et 18 : les évaluations plus que discutables de la Société du Grand Paris publiée dans le journal L'Obs du 28 octobre 2022, objet de notre article éponyme.
Au préalable, le journaliste avait sollicité l'opinion de la Société du Grand Paris (SGP) au sujet de cette tribune. Sans nier aucunement les manipulations ayant permis de conclure à des bilans socio-économiques positifs pour les lignes 18 et 17 Nord, la SGP se retranche derrière diverses analyses socio-économiques, qu'elle dit validées par des experts indépendants. Elle renvoie vers l'ouvrage Le Grand Paris Express - les enjeux économiques et urbains, publié par elle (544 pages, prix 39 €), qui regroupe des dizaines d'études d'experts, financées par elle. Elle cite notamment les travaux de Pierre-Philippe Combes, Miren Lafourcade et Laurent Gobillon.
Or, ces auteurs sont des économistes ou économètres, dont les compétences ne s'étendent pas aux domaines de l'urbanisme, des transports et de l'aménagement du territoire, tout comme les économistes siégeant au Conseil scientifique de la SGP. Selon Jean-Pierre Orfeuil, coauteur de la tribune dans L'Obs, ce sont « d'excellents chercheurs académiques, qui publient des recherches de haut niveau qui ne s'adressent qu'à leurs pairs économètres. Ils ont effectivement travaillé pour la SGP, mais ne sont pas sortis du cadre strict de leur discipline ». Il juge scandaleux l'usage de leurs travaux par les communicants de la SGP et détaille les motifs de cette appréciation.
Comme à son habitude, la SGP agit en juge et partie. Nous retenons surtout qu'elle n'a rien de substantiel à redire à la tribune qui met au jour des manipulations de chiffres, lourdes de conséquences à la fois pour les finances publiques (donc pour les contribuables présents et futurs) et pour les territoires qui seraient traversés par des lignes de métro coûteuses, inutiles et nocives.
Une étude récente réalisée par Jean Vivier, coauteur de la tribune dans L'Obs, conforte notre point de vue. Elle dresse une critique très sévère de la méthode d'évaluation de la SGP et des hypothèses sous-jacentes, dont celles des prévisions de trafic.
Notons enfin que les évaluations de la SGP se prétendent « socio-économiques », mais la part du social y est minuscule. Comme le formule Jacqueline Lorthiois, coauteure de la tribune dans L'Obs :
« Cela fait penser à la recette du fameux pâté d'alouette (un cheval, une alouette) : dans les critères pris en compte, il y a un cheval d'économie et une alouette de social. On évoque sans plus les chômeurs. Mais il n'y a rien sur la main-d'œuvre, ses compétences et ses qualifications, ses conditions de travail, ses moyens de déplacements, son niveau de vie. Les emplois sont mis en face des travailleurs, comme si n'importe quel emploi allait miraculeusement correspondre à n'importe quel travailleur, sans aucune prise en compte de l'adéquation entre emploi et main-d’œuvre. »
Or justement, le gros risque, c'est la multiplication de ce que nous appelons les « villes dissociées »* générées par le GPE (l'habitant n'y travaille pas et le travailleur n'y habite pas). Il est très probable que le tronçon est de la ligne 18 engendre une zone dissociée sur le plateau de Saclay ; en effet, nous savons qu'il y a déjà des personnes qui y ont élu domicile et dont Paris est le lieu de travail.
* Le concept de site dissocié ou ville dissociée a été introduit par Jacqueline Lorthiois en 2017 et documenté dans l'ouvrage « Balayer les idées reçues sur l'emploi et le travail ».