Tel est le titre d'une tribune publiée sur le site de L'Obs par Jacqueline Lorthiois, Jean-Pierre Orfeuil, Harm Smit et Jean Vivier. Elle dénonce les trucages de la Société du Grand Paris (SGP) dans les évaluations socio-économiques des lignes du Grand Paris Express (GPE), aboutissant à déclarer pertinentes et rentables des lignes qui ne le sont nullement.
La tribune renvoie vers un texte complémentaire des mêmes auteurs « Les comptes fantastiques de la Société du Grand Paris », qui s'inspire de notre article « Lignes 18 et 17 Nord : une utilité publique usurpée » et de notre analyse détaillée de l'évolution mirobolante des évaluations socio-économiques entre 2016 et 2021 « À propos de l'utilité publique des lignes 18 et 17 Nord », illustrée par le tableau en page 4.
Remarques
- Dans la tribune, il manque le lien vers la réponse d'Yves Crozet à un questionnaire de la commission des finances du Sénat. Ce document nous a été communiqué par l'auteur (surlignages ajoutés de nos mains). Bizarrement, on n’en trouve aucune trace sur le site du Sénat, ni dans le rapport du Sénat d'octobre 2020 sur les coûts et le financement du GPE.
À ce propos, on voit quelquefois refaire surface l'argument fallacieux, déjà avancé par Christian Blanc en 2010, que le financement du GPE est indolore pour le budget de l'État, sous prétexte que la SGP aurait son budget propre, financé par des taxes spécifiques en Île-de-France et par des emprunts (par émission d'obligations soi-disant « vertes ») remboursés sur une période de 70 ans comme jadis pour le métro parisien.
Or, qu'il nous soit permis de rappeler que le rapport de la Cour des comptes de décembre 2017 sur la SGP indiquait clairement que « le classement de la SGP dans le sous-secteur des administrations publiques en comptabilité nationale a pour effet de classer son déficit en déficit public et l’encours de sa dette en dette publique. » Par conséquent, plus la dette de la SGP est importante, moins l'État pourra mobiliser des crédits pour financer d'autres projets peut-être plus importants, telle la régénération du réseau existant. Or, avec la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine, la dette de la France a explosé et par ailleurs les taux d'intérêt sont en train de remonter rapidement. Les dizaines de milliards d'euros levés par la SGP augmentent le fardeau de la dette, c'est-à-dire les efforts que l'État français doit faire pour contenir la hausse de la dette publique.
La recommandation de la Cour des comptes de réduire le périmètre du GPE est d'autant plus pertinente aujourd'hui. On ne peut continuer à laisser faire la SGP comme si tout cela n'était pas arrivé et comme si, nonobstant la crise climatique et énergétique devant nous, on allait bientôt renouer avec les Trente Glorieuses !
- Dans le prolongement dudit rapport de la Cour des comptes sur la SGP, dont le gouvernement n'a guère tenu compte, il aurait été parfaitement logique que la Cour se penche sur les manipulations révélées. C'est ce que nous lui avons proposé lorsque la Cour a mis en place une plateforme citoyenne permettant au public de proposer des contrôles à effectuer par la Cour. Or, malgré le fait que nos propositions répondaient à tous les critères posés et avaient, en l'espace d'une semaine, recueilli un nombre important de soutiens, la Cour s'est précipitée pour les rejeter. Comprendra qui voudra.
- Les évaluations truquées étaient signalées dans le recours associatif contre la première déclaration d'utilité modificative de la ligne 18 décrétée en janvier 2021. Dans son jugement rejetant ce recours, le Conseil d’État estime benoîtement :
« Si ces évolutions et les nouvelles données socio-économiques conduisent à une augmentation du coût du projet, il ressort des pièces du dossier qu’elles entraîneront également une création de valeur plus importante que prévu pour la collectivité publique, notamment en termes de création d’emplois et de gains d’accessibilité, grâce à la création d’une desserte supplémentaire. »
- La tribune répond par ailleurs aux propos langue-de-bois stupéfiants prononcés par Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires chargée de l'écologie, lors d'une séance de questions orales au Sénat, le 25 octobre. Elle répondait à une question sur la défense des terres agricoles de Gonesse et de Saclay, posée par le sénateur Jacques Fernique. La teneur de cette question est proche de celle de la tribune. Elle se termine notamment par la demande d'un moratoire sur les lignes contestées et d'une une « étude d’impact indépendante ».
Au sujet du tronçon ouest de la ligne 18, la secrétaire d'État n'a pas hésité à ressortir du placard la vieille rengaine sur la « colonne vertébrale » du plateau de Saclay que devrait constituer cette ligne. Nous ne nous attendions plus à pareille baliverne ! Notre article Le vrai du faux de l'aménagement du plateau de Saclay en expose l'absurdité.
Les propos sur la ligne 17 Nord ne volent guère plus haut. Qu'il suffise de renvoyer aux nombreux articles que notre collègue Jacqueline Lorthiois a consacrés à ce tronçon, qui mettent en pièces, une à une, toutes les fausses bonnes idées avancées à cet égard.
Enfin, on y retrouve la ritournelle du « désenclavement », prétexte à toutes sortes de projets de bétonnage. C'est le niveau zéro de la réflexion sur l'aménagement du territoire.