Selon le vice-président du Conseil régional de Bretagne, Pierrick Massiot, l'Etat aurait trouvé une astuce pour faire contribuer les autres régions au financement du Grand Paris. Dans un communiqué publié le 30 juin 2011, relayé par La Gazette des communes — qui évoque à ce propos "une géniale complexité fiscale"—, il dénonce les effets de la réforme fiscale en préparation dans la loi de finances 2012. En effet, d'après lui, le changement de règles du jeu prévu consistera à favoriser indûment la région Ile-de-France et cela au détriment des autres régions. Le nouveau dispositif visant à remplacer la taxe professionnelle pour les régions, la région capitale deviendrait une région pauvre éligible à la solidarité nationale, alors même que son indicateur de richesse est supérieur à la moyenne de 45%. Une façon, selon lui, de faire financer le projet de Grand Paris par l’ensemble des régions.
Pierrick Massiot appuie ses propos sur une étude réalisée pour l’Association des régions de France, qui aboutit aux conclusions suivantes :
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A partir de 2013, l’ensemble des régions métropolitaines apportera chaque année à l’Ile-de-France une partie des ressources remplaçant la taxe professionnelle – la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Ainsi en 2020, selon le niveau de croissance, l’apport supplémentaire se situera entre 128 millions et 354 millions d’euros au minimum chaque année.
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Parallèlement, la région devrait aussi être pénalisée par la réforme des règles de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF), versée par l’Etat. Le nombre de régions éligibles doublerait, de 7 à 14, mais sans augmentation de la dotation.
Dans un article du 21 août 2011, intitulé "Le casse fiscal du siècle", Ouest France jette un éclairage plus précis sur cette "affaire" :
N'est-il pas étrange qu'en un coup de baguette magique, le pauvre Limousin soit devenu riche et que la riche région Ile de France soit désormais pauvre ? C'est pourtant ce que produisent les nouveaux indicateurs de richesse fiscale sortis de la dernière loi de finances votée par les parlementaires. Ce résultat, qu'ont dévoilé les conférences et cours universitaires d'Alain Guengant, Yann Le Meur et Bernard Kerriguy (connus sous le nom d'École de Rennes), se double d'un autre phénomène tout aussi déroutant. Les simulations effectuées par les chercheurs révèlent que la réforme de la taxe professionnelle (TP), remplacée par un impôt sur la valeur ajoutée, enrichira considérablement, à terme, la région parisienne, au détriment des provinces, particulièrement celles de l'Ouest, la Bretagne, les Pays-de-Loire et surtout la Basse Normandie.
Nous sommes en présence d'un hold-up, jusqu'ici insoupçonné, dont la clef tient au fait suivant : on a rendu subrepticement inopérant le dispositif de régulation, destiné à limiter les effets d'accroissement des inégalités financières provoqués par la réforme de la TP (concentration de la valeur ajoutée et de sa croissance en Ile de France). Comment ? Tout d'abord, on a vendu aux parlementaires un dispositif de péréquation destiné dans l'avenir à prélever une partie de l'enrichissement indu que provoque la réforme de la fiscalité locale au profit des régions déjà riches, seules contributrices au fonds. Ensuite, il suffisait de faire en sorte que l'Ile-de-France ne contribue pas à ce fonds en inventant, à la faveur du brouillage des repères occasionné par une réforme fiscale exceptionnelle, des nouveaux indicateurs, dont la composition lui est favorable. Alors que l'Ile de France dispose jusqu'au 31 décembre 2011 d'un potentiel fiscal (l'indicateur de richesse fiscale) de près de moitié supérieur à la moyenne, ce potentiel en sera au 1er janvier 2012 inférieur de près de 2 % ! Le tour est joué. Le nouvel indicateur est en réalité le fruit d'un rapport de force politique qui va jusqu'à se permettre de défier le réel et le bon sens sous un vernis d'objectivité prétendument technique, relevant de l'enfumage.
Au-delà du paradoxe et de l'absurde, cet accroissement masqué des inégalités régionales, contribuant à la paupérisation injustifiable des régions périphériques, constitue un scandale... Et c'est loin d'être anecdotique : l'Ile de France pourrait d'ici dix ans gagner quelque 30 à 40 millions de plus en une seule année, et autant chaque année suivante. Bien assez pour financer le Grand Paris... Payer les dépenses du Grand Paris avec la bourse des provinciaux ? Il suffisait d'y penser !
Dans un communiqué commun du 13 octobre, Maurice Leroy ministre de la Ville, chargé du Grand Paris, et Philippe Richert, ministre des collectivités, réfutent l'affirmation de Pierrick Massiot qu'ils qualifient de "contre-vérité absolue", indiquant que la loi de finances pour 2011 prévoit un fonds (alimenté par la CVAE) de péréquation qui corrigera d'éventuels écarts de ressources entre les régions afin de favoriser l'équité entre les territoires.
Selon eux, "aucun amalgame ne doit être fait entre les sources de financement du Grand Paris et la dotation de péréquation de la DGF des régions".
Ils déclarent que la Société du Grand Paris et le Syndicat des transports d'Ile-de-France "bénéficient de ressources fiscales dont les assiettes sont strictement franciliennes". Le financement du Grand Paris provient ainsi de la taxe sur la location de bureau (TLB), de la taxe sur les équipements (TSE), de l'impôt forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) et de la redevance pour la création de bureaux (RCB).
Y aurait-il de la fumée sans feu ? En tout cas, il convient de rappeler que l'Ile-de-France est la région la plus riche non seulement de France mais aussi de toute l'Europe. Dans cette situation de déséquilibre territorial, qui contraste singulièrement avec celle des autres pays européens, il n'est pas anormal qu'il y ait une certaine péréquation des ressources entre régions françaises. Ce qui fait dire aux promoteurs du Grand Paris ainsi qu'à certains élus, de droite comme de gauche, que "ce qui est bon pour l'Ile-de-France est bon pour la France". Le corollaire de ce raisonnement spécieux est que l'idéal serait de concentrer toute la France en Ile-de-France ! Puisqu'on ne cesse de louer les mérites de l'Allemagne, commençons donc par prendre modèle sur sa structure décentralisée qui n'est pas pour rien dans sa relative prospérité !