Divers événements, liés entre eux, ont émaillé l'actualité dans notre secteur au cours de ces derniers mois :
- La tenue des Assises de la mobilité sur le plateau de Saclay et les vallées voisines, le 18 novembre 2017.
- La publication, le 16 janvier 2018, du rapport de la Cour des comptes sur la Société du Grand Paris.
- L'abandon par le gouvernement du projet d'Exposition universelle de 2025, intervenu le 20 janvier 2018..
- L'annonce par le gouvernement du nouveau calendrier de réalisation du Grand Paris Express, le 22 février.
Nous ne reviendrons pas sur le projet d'Exposition universelle, qui nous a toujours paru parfaitement disproportionné par rapport à la capacité d'accueil du site, ne fut-ce que du point de vue de sa desserte par les transports. En fait, la Communauté Paris-Saclay, comme nous l'a dit son président, voyait en ce projet le moyen de forcer la réalisation de la Ligne 18 avant 2025. C'est pour elle un échec cuisant, le Gouvernement ayant bien compris qu'il mettrait le doigt dans un engrenage fatal.
Les assises de la mobilité sur le plateau de Saclay et les vallées voisines
Lors de l'enquête publique sur la Ligne 18 en mars-avril 2016, nous avons soumis un avis circonstancié, dénonçant, entre autres, l'absence de pertinence socio-économique de ce projet et préconisant des solutions plus adéquates et plus économiques (sur le plan financier comme sur le plan énergétique). La commission d'enquête ayant superbement ignoré notre avis, ainsi que d'autres avis pertinents défavorables (tel celui du Cercle des Transports), nous avons été obligés, de concert avec d'autres mouvements associatifs du territoire, à déposer un recours en Conseil d'État contre la déclaration d'utilité publique de la Ligne 18. Les maires de quatre communes riveraines (Saclay, Villiers-le-Bâcle, Châteaufort et Magny-les-Hameaux) ont fait de même.
Ensemble, et avec l'appui des députés de notre secteur, nous avons organisé les Assises de la mobilité sur le plateau de Saclay et les vallées voisines. Cet événement s'inscrivait dans le contexte des Assises nationales de la mobilité, organisée à l'initiative de Mme Élisabeth Borne, ministre des transports.
Pour la circonstance, un site dédié à cet événement a été créé, sur lequel se retrouvent toutes les présentations et leur support.
L'urbaniste Jacqueline Lorthiois a présenté une excellente analyse – basées sur des données objectives et récentes, celles de l'INSEE de 2013 – des bassins d'emploi du secteur censés être desservis par la Ligne 18 et les flux de déplacement entre et à l'intérieur de ces bassins. Elle mettait en évidence la très faible pertinence, voire la nocivité, de la Ligne 18 :
- Les bassins d'Orly et de Massy/Saclay sont très hétéroclites, si bien que les flux de déplacements entre ces deux pôles concernent pour l'essentiel les personnes se rendant à l'aéroport, ce qui représente un trafic très faible.
- Le bassin de Versailles/St. Quentin-en-Yvelines est un cas d'école d'une « zone intense », où se recoupent bassin d'emploi et bassin de main d'œuvre, de sorte que 45 à 60 % des actifs travaillent dans le même bassin ; il importe de préserver cette autonomie exemplaire.
- Les interactions entre le bassin de Massy/Saclay et celui de Versailles/Saint-Quentin, séparés par un vaste espace agricole et naturel, sont quasi-nulles, si bien qu'il n'y a aucun besoin d'un transport capacitaire entre eux.
- Le tracé de la Ligne 18 est partout perpendiculaire aux principaux flux de déplacements ; ainsi, au niveau de la frange sud du plateau, la vaste majorité des déplacements sont sud-nord alors que le tracé est est-ouest. Par ailleurs, ce tracé ne fait qu'effleurer le bassin de Versailles/St. Quentin.
- Mettre en place des liaisons capacitaires entre des bassins d'emplois est non seulement très peu utile, puisque les déplacements travail-travail ne représentent que 3 % du trafic total, mais de surcroît contre-productif car cela favorise l'étalement urbain, la vitesse de déplacement accrue étant mise à profit pour augmenter la portée des déplacements sans augmenter le temps total y consacré.
Les résultats de ces études sont autrement plus importants à prendre en compte pour l'aménagement et la desserte du plateau de Saclay que les récriminations des élus du plateau, qui semblent croire que la Ligne 18 va résoudre tous les problèmes de déplacement du secteur et améliorer la productivité des entreprises. C'est pourquoi cette présentation a été mise en ligne en y intégrant son support, de manière à la rendre plus facile à appréhender.
Notons que l'idée – avancée par nos députés pour justifier la traversée du plateau jusqu'à Versailles – que la ligne 18 doit servir à soulager la pression foncière sur le secteur de Saclay, défie le bon sens : cette pression foncière doit être absorbée à l'intérieur du bassin de vie et d'emploi où elle se produit et non être déportée sur un bassin voisin.
L'urbanisation prévue dans le secteur de Saclay devrait prioritairement être destinés à des personnes qui travaillent sur place, ce qui ne crée donc pas un besoin de mobilité régulière. S'ils devaient être occupés par des personnes qui travaillent à Paris ou à La Défense, on aurait tout faux en termes d'aménagement du territoire, le maître mot étant de réduire autant que possible les distances habitat-travail ; c'est la notion de "ville cohérente". Dans cette optique, il n'y a aucun intérêt à faciliter les déplacements Saclay-Paris.
De même, ceux qui viennent travailler à Saclay doivent être encouragés à s'installer dans le même bassin de vie et d'emploi ; les encourager à rester là où ils sont en mettant à leur disposition un transport rapide serait globalement contre-productif. Lorsque le CEA s'est installé à Saclay, les employés se sont progressivement installés à proximité, notamment à Orsay, Bures-sur-Yvette, Gif-sur-Yvette, Villebon-sur-Yvette, Jouy, Bièvres, etc. La collectivité a tout intérêt à ce qu'on se place dans la même logique aujourd'hui : favoriser la mobilité résidentielle plutôt que la mobilité physique.
Le nouveau calendrier de réalisation du Grand Paris Express
Le 22 février, le Premier ministre Édouard Philippe, accompagné de la ministre des transports Élisabeth Borne, a dévoilé le nouveau calendrier du Grand Paris Express (GPE). Les modifications par rapport au calendrier précédent sont résumées sur la carte ci-dessous, réalisée par Le Parisien :
Le tronçon Orly-Saclay de la Ligne 18 s'y retrouve retardé de trois ans.
Dans notre article Grand Paris Express – déraillement en vue ?, publié en 2011 et repris dans le numéro 138 de la revue Liaison de FNE Île-de-France, nous avions averti du fort risque de voir exploser les coûts et délais du GPE. Eh bien, nous y sommes !
Le gouvernement a tenu compte du rapport de la Cour des comptes, mais n'est pas allé au bout de la logique présentée par la Cour, qui préconise de réduire le périmètre du projet GPE afin d'avoir une maigre chance d'en maîtriser les coûts et les délais. Ce n'est que partie remise ! En effet, les promesses du Premier ministre n'engagent que ceux qui y croient. Pour laisser entendre qu'il n'y croit pas trop lui-même, il a rappelé que la construction de la ligne 14 a progressé à un rythme de 1 km/an, alors qu’on veut maintenant réaliser le GPE à un rythme 10 fois plus élevé. De surcroît, il a averti que le GPE est un « projet pharaonique » et que son nouveau calendrier est « extrêmement tendu, réaliste, tenable mais déjà tendu ». Comme le fait remarquer François Dumont, journaliste spécialisé de Ville, Rail & Transport : « Tenable ? Non. ». En fait, il s'agit d'un projet d'une ampleur sans précédent et quiconque ayant un peu d'expérience de grands projets industriels confirmera qu'un projet d'une telle ampleur n'est pas maîtrisable.
Les exemples ne manquent pas. En effet, la problématique des dépassements (en coûts et en délais) des grands projets a été étudiée en profondeur par Bent Flyvbjerg, professeur à Oxford et expert mondialement reconnu des « mégaprojets ». Dans son étude Cost overruns and demand shortfalls in urban rail and other infrastructure, il constate un dérapage moyen de 45 % (en même temps qu’une surestimation moyenne des trafics de 51 %). Pour sa part, la Cour des comptes a constaté un dépassement moyen de 92 % sur l’ensemble des 25 projets du CPER 2000-2006, ce qui laisse à penser que les projets français se situent au-dessus de la moyenne. Flyvbjerg considère que ces erreurs quasi-systématiques sont imputables à un biais d'optimisme des porteurs de projet afin d'emporter la décision des politiques. Pour réduire ce biais dans les estimations, Flyvbjerg recommande entre autres de recourir à des estimations indépendantes des porteurs de projet et d'impliquer au départ des partenaires privés dans la réalisation, pour bénéficier du regard d'entreprises « responsables de leur argent ». Ces recommandations n’ont pas été mises en œuvre pour le GPE, qui est essentiellement un projet de l’État évalué par les services de l’État.
Or, le GPE est un méga-mégaprojet. Flyvbjerg analyse comme benchmark le métro de Copenhague, dont la longueur totale est de 20,5 km, inférieure d'un ordre de grandeur à celle du GPE. Ce dernier a vu son coût estimatif augmenter de 19 milliards en 2011 à 35 milliards en 2017 (hors contribution de la SGP à d'autres projets), alors que les travaux n'avaient même pas commencé. De nouveaux dérapages par rapport au calendrier « extrêmement tendu » seront inévitables, il y en a déjà en perspective sur les sites de Saint-Maur et des Ardoines. Par-dessus le marché, le gouvernement demande à la SGP de faire 10 % d'économies sur les coûts du GPE et l'autorise à gonfler son personnel ; ces deux mesures sont de nature à provoquer davantage de délais.
Les coûts et délais supplémentaires se répercuteront sur la réalisation de la ligne 18, planifiée en fin du programme du GPE. Comme l'a mis en évidence la Cour des comptes, le financement du GPE fait déjà courir un très sérieux risque aux comptes publics et il est donc hors de question d'alourdir ce fardeau. Par conséquent, il est quasi-certain que l'État va devoir procéder, d'ici quelques années, à la révision du périmètre du GPE, prônée avec insistance par la Cour des comptes. La ligne 18 ayant été stigmatisée dès le départ comme le maillon le plus faible de ce projet, elle sera la première a être sacrifiée sous la pression de Bercy, comme cela a failli arriver en août 2017.
Et maintenant ?
En somme, la Ligne 18 est un mirage. Il faudrait que nos élus cessent de s'acharner sur elle en s'appropriant le propos de l'expert Jean-Pierre Orfeuil dans son allocution Grand Paris Express : un projet illusionniste, lors des Assises de la mobilité : « L’urgence est de redonner du pouvoir à l’intelligence collective et de mettre un terme aux discours de posture des élus (style "l’État doit tenir ses engagements") pour se repositionner sur l’intérêt général. ».
Car dans le fond, le report (probablement aux calendes grecques) de la Ligne 18 est une bonne nouvelle pour le cluster Paris-Saclay ! Notons d'ailleurs que le gouvernement a accordé une meilleure priorité à la Ligne 16 (pourtant d'un intérêt encore plus discutable que la Ligne 18) qu'à la Ligne 18, ce qui tend à indiquer que pour lui la réalisation de la Ligne 18 n'est pas cruciale pour la réussite du cluster Paris-Saclay. Au-delà des rivalités entre ses acteurs, ce cluster est surtout victime de son gigantisme. Est-il besoin de rappeler qu'il n'existe aucune université performante au monde qui compte plus de 35 000 étudiants ? Sous prétexte de l'arrivée de la Ligne 18, les porteurs du projet Paris-Saclay ne cessent de solliciter des entreprises pour venir s'installer au sein du cluster et de courir les salons comme le MIPIM pour y vendre de l'espace bureau futur de Paris-Saclay. Pourtant, il s'agit là d'un marché de dupes : le report modal qu'apporterait la Ligne 18 étant quasi-nul, de nouvelles implantations au sein du cluster aggraveraient la congestion routière, à laquelle la configuration topographique du plateau ne permet pas de remédier. L'attractivité du territoire s'en trouverait définitivement compromise.
Ainsi, la non réalisation de la Ligne 18 serait plutôt salutaire pour le cluster Paris-Saclay, puisqu'elle obligerait les porteurs du projet de ramener leurs ambitions d'urbanisation à de plus justes proportions, tant sur le plan du développement économique que sur celui de l'extension démographique. Au lieu d'encourager le développement économique au sein du cluster (qui y compte pour 38 % des surfaces à construire selon les prévisions actuelles), elle inciterait davantage à se tourner vers le parc d'activités de Courtaboeuf, en le traitant comme une partie intégrante du cluster pour tout ce qui concerne le développement économique et, par conséquent, d'arrêter de chercher à attirer des entreprises au sein du cluster. Le parc de Courtaboeuf, en cours de rénovation, est l'un des plus grands d'Europe et possède en outre une réserve d'extension.
La non réalisation de la Ligne 18 serait également bénéfique pour le développement d'une vie locale au sein du cluster – condition vitale pour son attractivité –, puisqu'une liaison rapide entre le campus et le centre de Paris orienterait les étudiants et chercheurs y résidant vers les attractions parisiennes au lieu de les inciter à participer à des activités de loisir et de culture développées au sein de leur bassin de vie. Pour que s'y développe une vie locale, il est certes nécessaire de s'appuyer sur l'implantation d'une population locale, mais cela n'oblige aucunement à s'abandonner au gigantisme en y créant une ville nouvelle de 35 000 habitants, comme cela est prévu actuellement.
Au total, il n'y a pas d'effet positif de l'arrivée de la Ligne 18 sur la réussite du cluster Paris-Saclay ; au contraire, ses chances de succès seraient plutôt renforcées par l'absence de la Ligne 18.
Désormais, il est donc plus que jamais urgent d'élaborer des solutions alternatives de desserte du cluster, à la fois plus pertinentes, moins onéreuses et plus rapides à réaliser.