C'est le titre d'un article de Jérôme Lemonnier dans Essonne Info du 3 décembre 2015, qui intègre des propos de Jean-Pierre Orfeuil tenus lors de notre conférence débat publique du 1er décembre à Bures-sur-Yvette

C'est un bon article qui a le mérite de refléter, de façon aussi impartiale que possible, les positions des différentes listes en lice pour les régionales. Il est toutefois un peu déroutant de voir présentés sur un même plan les avis de la gente politique et celui d'un expert en transports et mobilités, qui connaît ce domaine sur le bout des ongles pour l'avoir exploré dans tous les sens depuis plus de quarante ans et qui, au demeurant, n'est pas candidat aux élections.

Certains passages de l'article, reproduits ci-dessous en rouge, nous incitent à les assortir de nos commentaires.

"Avec près de 70 gares, ce nouveau métro est censé être emprunté par plus de 2 millions de voyageurs chaque jour. Les objectifs à court terme seront de permettre aux usagers de réduire leur temps de déplacement, mais aussi à désengorger le réseau actuel. Une idée que partage la liste sortante conduite par le socialiste Claude Bartolone. « Il y a une saturation et une densification du milieu urbain. Il y a des pôles de compétitivité et de développement économique partout et le GPE doit pouvoir les relier. Ce métro, c’est la garantie que les habitants de nos territoires puissent profiter du développement économique de notre territoire », affirme Hella Kribi-Romdhane, vice-présidente de la Région et numéro 2 sur la liste socialiste en Essonne."

Réduire le temps de déplacement est une illusion. Parmi les professionnels, ce phénomène est connu comme la loi (plus exactement : la conjecture, car c'est une constatation empirique) de Zahavi. Jean-Pierre Orfeuil la rappelle dans sa présentation, indiquant que le "budget temps de déplacement" moyen d'un Francilien est de 1h30 et que cette valeur n'a guère évolué depuis qu'on a commencé à la mesurer, en 1976. La raison en est que dès la mise en place d'un nouveau tuyau de transport (route ou transport collectif) ou un tuyau plus rapide, les acteurs urbains (ménages et entreprises) concernés en profitent aussitôt pour se relocaliser en troquant le gain de temps contre un gain de confort (en termes de prix, espace, attractivité, etc.). Ils contribuent ainsi à l'étalement urbain et aussi à la ségrégation sociale.

« La liaison des "clusters" entre eux n'a aucun intérêt », affirmait on ne peut plus clairement un autre expert des transports, Jean Vivier, dans son article « Observations sur le Grand Huit de Christian Blanc » (Le Monde, 3 juin 2010). En effet, les usagers d'un réseau de transport l'utilisent en vaste majorité pour des déplacements domicile-travail, les déplacements travail-travail ne représentant que 3 % du trafic total. Relier des pôles de compétitivité entre eux ne se justifierait donc que si on voulait encourager les usagers travaillant dans un pôle à installer leur domicile dans ou près d'un autre pôle, ce qui est un contre-sens en termes d'aménagement urbain dans une métropole comme le Grand Paris. Celle-ci étant beaucoup trop grande pour pouvoir constituer un bassin d'emploi unifié, c'est-à-dire où on peut habiter n'importe où et travailler n'importe où ailleurs. Avec ce type d'approche, on amplifie un cercle vicieux, dans lequel la mobilité facilitée bouscule l'agencement urbain, induisant des déplacements plus longs, ce qui à son tour nécessite de mettre en place de nouvelles infrastructures de transport. C'est tout le contraire de l'approche de « La ville cohérente », où on cherche à diminuer les besoins de mobilité en réduisant la distance moyenne entre lieux de travail et de résidence. Pour une meilleure compréhension de ces phénomènes de dynamique urbaine – où s'enchevêtrent les problématiques de mobilité, de logement et de gouvernance des institutions –, le dernier livre de Marc Wiel « Grand Paris – Vers un plan B » est une source d'information inestimable.

"L’analyse est quasiment similaire du côté de la liste d’union Les Républicain-UDI-MoDem. « Le développement de la région ne peut se faire sans le Grand Paris Express, mais il ne faut surtout pas oublier la rénovation de l’existant. Faire les deux n’est pas antinomique, c’est vital », garantit la centriste Faten Hidri, conseillère régionale sortante."

L'étude du Cercle des Transports Réorienter les priorités du réseau du Grand Paris (décembre 2014) montre clairement qu'on n'a pas les moyens de mener de front la réalisation du Grand Paris Express et la rénovation du réseau existant ; ceux qui prétendent le contraire prennent leurs désirs pour des réalités et risquent d'entraîner le pays dans une aventure extrêmement périlleuse. D'ailleurs, l'étude du Cercle des Transports Moderniser le réseau ferroviaire francilien d'août 2015 démontre que la rénovation du réseau existant est également incontournable si Paris veut être prête pour accueillir les JO en 2024 et/ou l'Expo universelle en 2025, puisque les ressources financières disponibles d'ici à 2025 ne permettent pas d'envisager toute opération nouvelle en dehors de celles déjà commencées.

Comment peut-on payer le Grand Paris Express et faire la rénovation de l’existant, s’interroge Nicolas Dupont-Aignan, tête de liste pour Debout La France (DLF). Dire que c’est réalisable, ce ne sont que des sornettes. Jamais nous ne trouverons les fonds pour les financer. C’est un scandale absolu ! », s’emporte le maire de Yerres qui exprime sa préférence pour la rénovation de l’existant et non pour la création du GPE. « Sur les 25-30 milliards annoncés, je préfère en mettre 10 à la rénovation de l’existant. C’est moins cher et plus efficace », argumente ce dernier. Des arguments partagés par la tête de liste Front National en Essonne, Audrey Guibert. « C’est la folie des grandeurs ! Il faut d’abord penser à ce qui ne fonctionne pas avant de penser à créer autre chose. D’autant plus que dans certains cas, la création du Grand Paris Express pourrait être non rentable. Certaines lignes auront un rapport fréquentation/investissement mauvais. C’est inconcevable ! »."

Les propos de ces deux protagonistes sont cohérents avec notre commentaire précédent.

"D’autres encore s’interrogent sur de possibles dépassements de budget. « Les projets pharaoniques de nouvelles lignes de métro du GPE nous apparaissent inutilement ruineux. Nous sommes opposés aux 30 milliards d’euros d’investissements, d’autant plus que les estimations devraient comme habituellement connaître de lourds dépassements », s’inquiète Aurélien Véron, président du Parti libéral démocrate et tête de liste régionale du mouvement Aux urnes citoyens. « Généralement, on arrive toujours à multiplier par deux le budget initial au cours de la réalisation de celui-ci, note Jean-Pierre Orfeuil, spécialiste des transports et mobilités. Nous pourrions arriver à 52 milliards d’euros, voire même pour ce projet à un triplement de la mise de départ d’ici 15 ans. On tablerait donc sur du 70 milliards d’euros de budget »."

L'évaluation de Jean-Pierre Orfeuil des investissements à produire est la suivante :

GPE : 24 milliards en infrastructures
Schémas directeurs RER : 3 milliards
Prolongements : 13 milliards
Autres : 2 milliards
Matériels roulants + gares : 8 milliards
Bus propres : 1 à 2 milliards

Soit un total de 52 milliards à dépenser sur 15 ans
Mais le coût du GPE n'est qu'un coût prévisionnel, le coût réel se rapprochera du double.
Les dépenses réelles à prévoir sont donc vraisemblablement de 70 à 80 milliards.
En matière d'infrastructures, cela signifierait un triplement de l’effort d’investissement actuel.
En conclusion et en référence aux propos que tiennent le gouvernement et la SGP, Jean-Pierre Orfeuil s'exclame : Aucun expert ne peut dire que c’est financé !

"Face à ces critiques sur le financement de ce projet, les listes de Bartolone et de Pécresse jouent notamment sur la participation de différents acteurs du territoire. « Il faut qu’il y ait un soutien économique de tous les acteurs concernés, dont l’Etat, annonce Hella Kribi-Romdhane. Notre tête de liste Claude Bartolone a un vrai poids et il a des ambitions très fortes pour la région. Il a la capacité de mobiliser ces acteurs et je n’ai pas d’inquiétudes sur sa motivation à mettre à contribution l’Etat ». La Région, la Société du Grand Paris, le Stif et donc l’Etat pourraient être mis à profit pour la réalisation du Grand Paris Express. Un sentiment que partage la liste d’union Les Républicain-UDI-MoDem. « L’Etat jouera un rôle important, mais il n’y a pas que ça, explique la centriste Faten Hidri. Il faut qu’il y ait un financement intelligent. Nous pourrions aller vers la mise en place de crédits-bails et vers une réduction du train de vie de la région », affirme ce soutien de Valérie Pécresse."

In fine, les "financements intelligents", quel qu'en soit le scénario, doivent être supportés par les contribuables français présents ou futurs. L'expérience montre que les partenariats public-privé se soldent à terme par des dépenses publiques disproportionnées. La France vit déjà à crédit deux mois sur douze. Aggraver la dette publique abyssale serait irresponsable : aujourd'hui les taux d'intérêt des emprunts sont extrêmement bas – lorsqu'ils remonteront, l'économie française suffoquera sous le poids des remboursements et des paiements d'intérêts. Et qu'on ne vienne pas nous faire miroiter les retombées mirifiques de ces investissements. A cet égard, les évaluations socio-économiques que présente la SGP pour justifier son projet de GPE, sont aussi peu crédibles que celles de Christian Blanc en 2009, qui prévoyait pour la région capitale une croissance annuelle de 4 % jusqu’en 2030, ainsi que la création de 1 million d'emplois sur la même période. Comme l'a rappelé Jean-Pierre Orfeuil, quelques années plus tard cette prévision de 1 million a été ramenée par la SGP à 115 000, chiffre qui reste tout à fait hypothétique.

"Hormis les listes de Valérie Pécresse et de Claude Bartolone qui s’accordent sur le fait de maintenir ce projet tout en permettant aux riverains d’être le moins impactés possible par les nuisances sonores et visuelles, les autres listes sont réfractaires au projet. Le clan écologiste souhaite ainsi revenir sur ce qui est inscrit pour l’instant dans les plans. « Nous sommes tout bonnement contre la création des lignes 17 et 18 », résume Jacques Picard, conseiller régional sortant. Pour lui, « ces dernières sont injustifiées » notamment en termes de fréquentation et d’impacts sur l’environnement. Des propos relayés par sa colistière Marie-Pierre Digard. « Nous sommes pour un raccordement de Massy à Orly, mais cela s’arrête là. Qu’elle soit aérienne ou enterrée, on ne veut pas que cette ligne traverse le Plateau de Saclay ». Les écologistes prévoient ainsi la mise en place d’un tramway et d’un réseau de bus à haut niveau de service. « Abandonner la Ligne 18 nous ferait faire une économie de près de 6 milliards d’euros qui pourrait financer ces nouveaux modes de transports », poursuit la candidate."

Ces propos vont dans le bon sens. Attention toutefois à ne pas considérer comme une économie la non dépense d'argent que l'on n'a pas !

"Enfin, du côté de Nicolas Dupont-Aignan ou encore d’Audrey Guibert, l’abandon de la réalisation de la ligne 18 est assumé. « Cette ligne n’a pas de cohérence. Elle ne relie que des clusters entre eux et oublie les usagers. Cela amplifie l’inégalité entre territoires en termes d’accès aux transports », certifie la leader frontiste. « C’est un grand pôle de recherche et de développement économique. Il faut impérativement qu’il soit interconnecté pour l’avenir », tacle Hella Kribi-Romdhane."

Nous mettons en garde contre les postulats et les fausses promesses du cluster Paris-Saclay, dont certains acteurs commencent déjà à déchanter. Quant à sa desserte, nous redoutons l'asphyxie routière que ne manquera pas d'induire le gigantisme de ce cluster – problème qui n'est guère évoqué par les candidats ; pour ce qui est des transports collectifs, nous considérons que la Ligne 18 est une fausse bonne solution et proposons une alternative bien plus adéquate.