Maintenant que de nombreux établissement s'y sont installés, le besoins de desserte du cluster Paris-Saclay se fait sentir avec de plus en plus d'acuité. D'ici à 2022, 5000 étudiants supplémentaires vont débarquer et on n'a toujours pas pris des mesures sérieuses pour mettre en place des liaisons de rabattement entre les RER et le plateau, comme nous le préconisons depuis 10 ans.
Le « monde d'avant » a la peau dure
Dans une interview récente, Grégoire de Lasteyrie, maire de Palaiseau et désormais président de la communauté d’agglomération de Paris-Saclay (CPS), proclame que « toutes les études réalisées ont montré qu'aucun moyen de transport ne réussirait à acheminer toutes ces personnes, hormis le métro 18. » C'est archi-faux. D'abord, nous n'avons pas connaissance d'une quelconque étude de trafic impartiale qui ne prenne pas pour hypothèse de départ la réalisation de la ligne 18. Ensuite, nous avons maintes fois affirmé – par exemple dans un article publié dans la revue Liaison – qu'il suffisait de mettre en place deux liaisons de rabattement entre le RER B et le cluster Paris-Saclay pour faire face au trafic supposé être écoulé par la ligne 18 à l'horizon 2030, et personne n'a jamais pu démontrer que nous avions tort. M. de Lasteyrie déclare aussi qu'il « préfère avoir un transport en commun plutôt que des kilomètres de bouchons ». Avec un peu plus de recul dans ce domaine, il saurait que le transfert modal entre la route et le transport collectif est largement illusoire ; cela fait partie des anachronismes urbains décrits par l'urbaniste Jean-Marc Offner.
D'un consensus à l'autre
Dans sa Lettre du député de décembre 2020 Cédric Villani commente une réunion du Comité consultatif de l'EPAPS (qu'il préside), consacrée aux mobilités et à la ZPNAF :
« Le 18 décembre le Comité Consultatif de l'EPAPS a été le siège de riches discussions sur deux sujets majeurs pour le territoire : les mobilités, et la Zone de Protection Naturelle Agricole et Forestière (ZPNAF). Si la nécessité d'un transport collectif sur le plateau fait consensus, les mobilités Nord-Sud et du dernier km sont des enjeux tout aussi importants et doivent être organisés. Le développement vital des transports ne doit cependant pas mettre en péril les activités agricoles du territoire. La ZPNAF a démontré sa solidité et mérite d'être encore renforcée. C'est une protection cruciale pour préserver tout à la fois l'identité du Plateau de Saclay et la confiance dans son aménagement ! »
C'est l'occasion de rappeler une fois de plus que la « sanctuarisation » des terres agricoles du plateau ne pourra s'accommoder de la traversée par un métro, de surcroît doublé d'une voie express routière (la RD36 à 2x2 voies), En effet, là où il y a un consensus quasi-unanime contre la ligne 18, c'est à l'égard du tronçon Saclay-Versailles. Celui-ci n'a strictement rien de vital, au contraire : il serait létal pour le plateau agricole, dont Cédric Villani dit lui-même qu'il est crucial de le préserver. Ce tronçon serait nocif à plusieurs titres :
- Il engendrerait à plus ou moins brève échéance l'urbanisation massive de ce qu'il reste aujourd'hui de la plaine agricole du plateau. S'il n'existe nul endroit au monde où un métro traverse un territoire d'aussi faible densité, c'est qu'une telle situation est instable, la présence d'un métro constituant un vecteur d'urbanisation irrésistible. La ZPNAF ne saurait y survivre longtemps. Elle est certes sanctuarisée par la loi (donc au plus haut niveau possible), mais aucune loi n'est gravée dans le marbre et celle-ci a déjà été modifiée 16 fois. Or, il suffirait d'y rajouter deux mots pour faire voler en éclats son pouvoir de protection. Par conséquent, ceux qui prétendent que la ZPNAF constitue un rempart pérenne contre l'a bétonisation sont des illusionnistes coupables.
- Il relierait entre eux deux bassins d'emploi qui n'ont quasiment rien en commun : Antony/Massy/Saclay/Les Ulis et Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines. L'analyse faite par Jacqueline Lorthiois sur la base des statistiques de l'INSEE, complétée de son avis contribué à la dernière enquête publique, montre que les flux de déplacements entre ces bassins sont extrêmement faibles. Cela explique d'ailleurs la très modeste fréquentation de ce tronçon Saclay-Versailles prévue aussi bien par Île-de-France Mobilités que par la DRIEA Île-de-France. Selon les prévisions de trafic du Grand Paris Express de la SGP elle-même (dans le dossier d'enquête publique modificative sur la ligne 18 de 2020), le très hypothétique prolongement jusqu'à Nanterre – qui n'a jamais figuré qu'en pointillé sur les plans –, n'y changerait pas grand-chose.
- En offrant un transport de transit, il favoriserait l'étalement urbain et engendrerait une « ville dissociée » : ceux qui y travaillent habitent ailleurs et ceux qui y habitent travaillent ailleurs. Cela empêcherait l'éclosion d'une vie locale dans la « ville nouvelle » de Paris-Saclay et diluerait par ailleurs l'autonomie exemplaire du bassin de Versailles/St. Quentin, un cas d'école de « zone cohérente », où plus de la moitié des actifs résidents travaillant dans le même bassin. Lorsqu'elle était encore députée de l'Essonne, nous avons expliqué cela à Amélie de Montchalin, mais elle a semblé aveuglée par on ne sait quelle obsession.
Un tronçon à la rentabilité socio-économique négative…
En 2016, la SGP aurait pu ne soumettre à enquête publique que le tronçon Orl-Saclay, dont la réalisation était alors prévue six ans avant celle du tronçon Saclay-Versailles. Si elle tenait tellement à ce que l'enquête publique englobe l'intégralité de la ligne 18, c'est qu'elle savait très bien que le tronçon Saclay-Versailles seul n'avait aucune chance de résister à un examen objectif quant à sa rentabilité socio-économique. Les prétextes avancés étaient (et sont toujours) plus fantaisistes les uns que les autres : cette ligne fait partie d'un réseau, elle forme un tout, on ne peut la couper en morceaux, etc.
Rien d'étonnant à ce que les contre-experts mandatés par le Commissariat général à l'investissement (CGI) – depuis lors renommé en Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) – dans le cadre de l'enquête publique sur la ligne 18 en 2016, aient exprimé un avis défavorable sur le tronçon Saclay-Versailles (tout en se faisant violence pour accorder le bénéfice du doute au tronçon Orly-Saclay en arguant qu'« on ne peut pas totalement exclure que le plateau de Saclay représente une part très importante des bénéfices économiques élargis du GPE » (sic)).
Pour l'enquête publique modificative de 2020, la SGPI a fait faire une nouvelle contre-expertise (publiée postérieurement à cette enquête), qui se montre tout aussi critique que la première et dans laquelle les contre-experts rappellent que « Dans le rapport de 2016, les contre-experts, estimant que la rentabilité du tronçon Saclay-Saint-Aubin-Versailles était négative, avaient recommandé que cette liaison soit différée. Cette recommandation reprise dans l'avis du CGI, n’a pas été retenue dans l'arbitrage du Premier ministre. » et affirment que « La question demeure aujourd'hui. » La SGPI en a néanmoins tiré un avis favorable en indiquant, entre autres, qu'« il apparaît clair que les bénéfices attendus (…) ne seront au rendez-vous que si le plateau de Saclay offre rapidement la forte densité espérée ». Or, il suffit d'un coup d'œil sur la carte pour constater qu'il n'y a guère d'opportunités de densification significatives sans porter atteinte à la ZPNAF.
… justifié sous des prétextes plus fallacieux les uns que les autres
Il est instructif d'observer les arguments avancés par ceux qui défendent cette liaison entre Saclay et Versailles. En septembre 2017, à un moment où la ligne 18 était sur la sellette dans les sphères gouvernementales, le préfet de région de l'époque, Michel Cadot, a consulté, sur un éventuel report du tronçon Saclay-Versailles, la présidente du Conseil régional, Valérie Pécresse,. Dans sa réponse, cette dernière aligne une série de neuf arguments, un bon résumé de la propagande des partisans de cette section. Mais ces arguments sont tous fallacieux, aucun ne résiste à une analyse un tant soit peu sérieuse, comme le montre notre version commentée de ce document.
Ce que ne dit pas Valérie Pécresse – mais qu'évidemment elle n'ignore pas –, c'est que la municipalité de Versailles compte sur la ligne 18 pour relier, aux frais de l'État, le quartier de Satory au centre-ville. Aussi avons-nous incité le maire de Versailles, François de Mazières, à étudier des solutions plus légères et plus adéquates qu'une ligne de métro, afin de mettre ses actes en accord avec les intentions exprimées dans sa tribune remarquable « La crise du coronavirus doit nous réapprendre à remettre l'homme au cœur de l'urbanisme et de l'architecture » publiée dans Le Monde du 2 juin 2020. Il y plaide « la remise en cause de l'hyperconcentration urbaine », souligne que « l'aménagement du territoire redevient une indispensable priorité », observe que la crise sanitaire « souligne l'urgence de limiter l'étalement urbain pour préserver les zones agricoles périurbaines » et insiste sur la nécessité de « réapprendre à gérer le temps long », regrettant que « le critère de proximité du lieu de travail n'est quasiment jamais pris en compte ».
Nous lui avons rappelé par ailleurs qu'en 2016, il lui a été suggéré d'étudier un raccordement exploitant la solution CarLina, qui est à la fois beaucoup plus légère et moins coûteuse – financièrement comme écologiquement – que celle d'une ligne de métro. Elle serait aussi bien plus puissante en termes de capacité de maillage ; elle pourrait servir à la desserte capillaire à l'intérieur du quartier de Satory et permettre diverses ramifications (Toussus, Buc, Technocentre). En outre, elle pourrait entrer en service bien avant la date théorique d'ouverture du tronçon Saclay-Versailles de la ligne 18, pourvu qu'on veuille bien aller de l'avant sans tarder. Voilà une solution innovante en phase avec les enjeux écologiques considérables du XXIe siècle !
Une mise au sol contre-productive
À noter que la mise au sol de la ligne 18, en lieu et place du viaduc, entre Saclay et Magny-les-Hameaux, dont le principe a été retenu par le Conseil de surveillance de la SGP en décembre 2020 et qui devrait être soumise à enquête publique mi-2021, ne ferait qu'aggraver les nuisances pour les communes riveraines. Aussi, les maires concernés se sont-ils insurgés auprès du préfet de région. Cette orientation était motivée par l'exigence gouvernementale que la SGP fasse une économie de 2,6 milliards d'Euros sur la facture totale du Grand Paris Express. L'économie de 30 millions d'Euros qu'apporterait cette mise au sol paraît assez dérisoire (à peine 1 %) au regard de l'objectif.
Au demeurant, cette décision ne va pas sans répercussions indésirables. Selon la SGP, citée dans la presse, « Cette décision permettra de rendre à l’agriculture une surface d’environ 4 hectares, grâce au travail d’optimisation mené conjointement avec le conseil départemental de l’Essonne, engagé pour sa part dans la mise en œuvre du doublement de la RD36 ». Ce que la SGP ne dit pas, c'est que cette « optimisation » a pour conséquence de supprimer les deux voies de TCSP prévues dans le projet de requalification de la RD36. On privilégie ainsi la circulation automobile sur la RD36 doublée sur le transport collectif par bus sur le TCSP. C'est d'autant plus incongru que le doublement de la RD36 impliquerait le bouclage de facto de la Francilienne, donc le contournement de Paris par l'ouest (A12-RD36-RN118-A10), amenant des flots de camions qui parachèveraient la saturation de la RN118.
L'Histoire jugera
Renoncer au tronçon Saclay-Versailles ferait réaliser une économie de 1,5 milliards d'Euros. A priori, ce serait juste une dépense en moins pour la SGP. Mais rien n'empêche l'État de faire contribuer la SGP au financement d'autres réseaux que le Grand Paris Express, comme cela a déjà été fait pour EOLE (RER E). La Cour des comptes désapprouvait ce type de procédé, mais à une époque d'exception (explosion des dettes, tant publiques que privées), on ne peut s'interdire de prendre des mesures d'exception.
Nous nous associons à la demande du collectif Saclay Citoyen d'être entendu par le préfet de région.
À l'occasion de l'entrée en scène de l'année 2021, nous exprimons le vœu que nos élus, à tous les niveaux, adoptent une ligne de conduite similaire à celle esquissée par le maire de Versailles et réfléchissent à deux fois avant de se rendre complices d'agressions irréparables aux terres agricoles du plateau de Saclay, qui comptent parmi les plus fertiles d'Europe et contribueront à notre alimentation de demain. L’Histoire leur serait reconnaissante !