L’enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique (DUP) sur le projet de la Ligne 18 du Grand Paris Express (GPE), initiée par le maître d'ouvrage, la Société du Grand Paris (SGP), a eu lieu du 21 mars au 26 avril 2016, sous les auspices du préfet de la région d’Île-de-France, Jean-François Carenco, qui a signé l’arrêté préfectoral correspondant le 17 février.
La commission d’enquête compte pas moins de sept membres et deux suppléants. Elle est présidée par M. Jean-Pierre Chaulet, général de gendarmerie en retraite, président de la Compagnie des commissaires-enquêteurs d'Ile-de-France. Il a également présidé les commissions d'enquête pour le PLU de Paris, la Ligne 15 Sud et le Tram-train Massy-Evry, entre autres. Les autres membres de la commission sont :
- M. Jacques Bernard Bouissières, ingénieur conseil en risques (en retraite)
- M. Fabien Ghez, ingénieur
- M. Reinhard Felgentreff, gérant de société industrielle (en retraite)
- M. Pierre Barber, consultant en énergie, environnement et déchets
- M. Yves Maenhout, ingénieur en ingénierie de réseau (en retraite)
- Mme Nicole Soilly, cadre supérieur à la Poste (en retraite)
On note l'absence de compétence en matière de transports et d'urbanisme !
Le dossier d’enquête publique a été mis à disposition du public, accompagné d’un registre, dans les mairies des 14 communes jouxtant le tracé de la ligne. Le dossier a aussi été mis en ligne sur un site dédié, sur lequel on a pu télécharger les nombreuses pièces du dossier, ainsi que déposer des avis en ligne et consulter d'autres avis y déposés ; cette possibilité de consultation a été interrompue dès la fin de l'enquête.
La commission d'enquête a assuré au total une cinquantaine de permanences dans les communes concernées.
Des réunions publiques ont été organisées les 22 mars, 4 avril, 8 avril et 14 avril à Massy, Versailles, Gif-sur-Yvette et Guyancourt, respectivement.
Plus de 4000 avis ont été déposés sur le registre électronique, auxquels s'ajoutent les avis inscrits dans les registres papier, soit un total de plus de 4400 avis exprimés d'après la SGP. Cependant, de nombreux avis sont non argumentés ou de simples copies d'autres avis.
La commission d’enquête est désormais en train d'étudier les avis déposés. Elle établira son rapport sur le projet, en principe avant le 14 juillet, avec des conclusions qui peuvent être défavorables, favorables sous réserves ou simplement favorables.
In fine, l'éventuelle utilité publique de la Ligne 18 sera déclarée par un décret en Conseil d’État. Selon le planning de la SGP, cette déclaration d'utilité publique interviendrait mi-2017.
Bien évidemment, en attendant, la Ligne 18 ne peut être considérée comme "actée" comme on peut le lire ici ou là. Mais cela n'empêche pas la SGP d'engloutir des millions d'euros dans des études, comme si l'utilité publique était acquise d'avance. Faut-il en déduire qu'elle compte passer outre l'avis de la commission d'enquête au cas où cet avis serait défavorable ?
Recueil des avis déposés
Nous passons en revue les avis qui nous semblent les plus pertinents parmi ceux dont nous avons pris connaissance. Il est tout à fait probable que d'autres avis pertinents aient été déposés sans que nous en soyons informés.
À noter avant tout l'avis "très défavorable" du Cercle des Transports. Rappelons que le Cercle des Transports réunit des experts de haut niveau en matière de transports. Le document attaché à cet avis, un résumé du rapport Moderniser le réseau ferroviaire francilien, montre clairement que la rénovation urgente du réseau existant, incontournable si on veut pouvoir accueillir décemment les JO en 2024 et/ou l'Expo universelle en 2025, mobiliserait toutes les ressources financières, y compris celles de la SGP, disponibles d'ici à 2025 (évaluées à 26 milliards d'euros).
COLOS a également déposé un avis très défavorable, de même que FNE Île-de-France, l'UASPS, l'UAPNR, AGPV et ENE.
Parmi les autres avis déposés par le monde associatif, citons ceux de : ABON, ADEVE, APESA, ASEM, AUT Ile-de-France, AVB, CABNER-dB118, CIRCULE, Collectif TGO+TTMV, COSTIF, COURB, Jouy Ecologie, Moulon2020, Portes de l'Essonne Environnement, Palaiseau Terre Citoyenne, Terre et Cité, Terre et Environnement, Terres Fertiles et Vivre à Bures.
De nombreux avis stigmatisent l'absurdité et la perversité d'un métro traversant le plateau à l'ouest de Saclay ; notons tout particulièrement celui de Terre et Environnement.
CIRCULE fait remarquer que le Grand Paris Express absorbera non seulement les finances publiques mais également toutes les ressources d'ingénierie ferroviaire, qui ne manqueront pas de faire défaut à la régénération du réseau existant.
Certains avis se focalisent sur la problématique de l'improbable gare CEA Saint Aubin (reportée à une éventuelle future enquête publique complémentaire) : la Commission Locale d'Information (CLI) des installations nucléaires de Saclay et l'Institut Français des Formateurs aux Risques Majeurs et protection de l'Environnement (IFFO-RME).
À notre connaissance, les seuls avis émanant des milieux politiques sont ceux formulés par EELV Essonne et EELV Yvelines.
Deux avis individuels de personnalités reconnues sont particulièrement significatifs et corroborent l'avis de COLOS.
- L'avis de Jacqueline Lorthiois, urbaniste et socioéconomiste, spécialiste de l'analyse des équilibres emploi/main-d'œuvre en Île-de-France.
Cet avis a pour titre Un moyen de transports lourd déstructurerait le fonctionnement en bassins de vie équilibrés de ce territoire et analyse les flux de déplacements au sein des bassins de vie et d'emploi afin d'évaluer la pertinence de créer une offre de transport lourd entre l'Essonne et les Yvelines. En voici un extrait :
« 1er constat : Aucun flux important n'apparaît entre le bassin de l'Essonne (Massy) et les bassins des Yvelines (Saint-Quentin et Versailles). Ni dans un sens, ni dans l'autre. Ce qui semble montrer une segmentation du territoire en 3 bassins autonomes, à l'opposé d'une vision d'un « grand territoire plateau de Saclay », concept ne reposant pas sur ce qu'on appelle un « territoire vécu » (correspondant aux pratiques des habitants). D'où une demande inexistante d'un grand axe de transit.
2ème constat : Les liaisons de proximité sont essentielles. (…). Ainsi, les besoins de transports pour l'essentiel sont des besoins de desserte et non de transit.
3ème constat : Les déplacements domicile-travail aller vont de la périphérie vers le centre. Leur tracé est à l'inverse de la ligne 18. Les flux vont :
• du Sud vers le Nord dans le bassin de Massy, alors que la ligne 18 va d'Est en Ouest ;
• Ouest-Est dans les bassins de St Quentin et de Versailles-Vélizy, alors que le tronçon de la ligne 18 qui traverse ce territoire va du Sud au Nord. (...)
En conséquence, il n'y a guère de demande pour un grand axe traversant joignant le 91 et le 78. Les besoins sont de transports de desserte effectuant des liaisons de cabotage d'une commune à l'autre. Un métro express avec quelques gares ne correspond absolument pas aux besoins actuels.
(…)
A quoi bon bouleverser cet équilibre par une urbanisation massive qui déstructurerait complètement des liens territoriaux de proximité qui constituent une exception heureuse en Ile-de-France ? Il vaut beaucoup mieux dépenser les sommes prévues pour les transports à améliorer l'existant et à renforcer l'offre de proximité par des systèmes de desserte par bassins, en bonne correspondance avec les pratiques et les besoins des populations. »
- L'avis de Claude Germon, ancien maire de Massy (de 1974 à 1995) et député de l’Essonne (de 1981 à 1993).
En voici de larges extraits :
« 1- Le remarquable rapport de la Cour des comptes sur les transports en Île-de-France conclut à l'urgente nécessité de remettre en sécurité les réseaux existants et, pour financer ces gigantesques travaux, de reporter la construction des lignes nouvelles.
La question posée aux citoyens devrait donc être celle-ci : "Souhaitez-vous continuer à voir se dégrader dangereusement vos conditions de transport quotidiennes pendant de nombreuses années pour pouvoir financer la ligne nouvelle Orly-Saclay ? Ou bien, préférez-vous que la priorité soit donnée à la rénovation du RER B (et du RER C) en reportant la construction de cette ligne nouvelle" ? Chacun connaît d'avance la réponse. C'est pour cela que la vraie question n'est pas posée.
2- Pourquoi le VAL Orly-Antony a-t-il été préféré à Orly-Massy ?
(rappel historique sur le VAL et le TGV dans ce secteur)
Reste qu'aujourd'hui la liaison Orl-Massy reste posée. Un train enterré coûte extrêmement cher. A-t-on réfléchi à d'autres solutions ?
3- Le transport par câble est une solution moderne, souple, nettement moins coûteuse. Pour l'irrigation du plateau de Saclay, j'avais déjà proposé, il y a une trentaine d'années, (…) un transport par câble qui, contrairement à un tram, se prête facilement au maillage d'un grand espace. J'ai remis aux pouvoirs publics l'actualisation technico-financière de ces études.
Le grillage de l'aéroport d'Orly est à quelques centaines de mètres de Massy. La différence de temps entre les différents moyens de transport est donc forcément réduite. La vitesse et le débit ne sont donc pas un critère de référence. Par contre, les critères de coûts et de partage de flux pour dédier telle cabine à telle destination sans freiner le flux principal déterminent le choix des futurs exploitants.
Sur tous ces points, les documents que j'ai produits donnent, sur cette distance, un net avantage au câble.
4- Les constructeurs européens (le Français POMA, l'Autrichien Doppelmayer, l'Italien Leitner) bénéficieront tous des concours de fonds d'investissements pour financer l'opération. Par une convention de type "Viaduc de Millau", l'État ne dépensera pas un centime. Les fonds publics pourront donc être entièrement réservés à la remise en sécurité du réseau existant. Tous sont d'accord pour en confier la gestion à la RATP.
5- Cohérence avec le plateau de Saclay.
En tout état de cause, la liaison ferroviaire Saclay-Saint Quentin et au-delà n'est pas programmée. Les plus optimistes parlent de plusieurs dizaines d'années. Le transport par câble sur le plateau et le maillage qu'il permettra, contrairement au train, s'imposeront naturellement. Ainsi, un service de qualité sera rendu sans faire intervenir les finances publiques qui pourront s'investir totalement dans la réhabilitation des réseaux en perdition.
Cette enquête publique est bancale. Elle ne donne pas aux citoyens toutes les données du choix. La plus élémentaire démarche démocratique devrait conduire à indiquer en exergue des documents présentés à la consultation les conclusions du rapport de la Cour des comptes.
Chacun doit savoir que l'on n'a pas les moyens de financer ces deux opérations en même temps. »
Cette dernière exclamation de Claude Germon ne peut être répétée assez souvent, tellement elle ne semble pas encore avoir frappé la conscience collective. C'est particulièrement vrai pour les entreprises qui sont venues s'installer sur le plateau à bon compte sur des terrains mal desservis et qui réclament maintenant que leur desserte soit améliorée aux frais de l'État. L'avis du directeur du CEA, cité dans notre avis, souligne que « le développement et la réussite du cluster rendent incontournable la réalisation d’infrastructures de transport adaptées », mais ne semble pas vouloir comprendre qu'il y ait des infrastructures de transport bien mieux adaptées que la Ligne 18. L'avis d'Airbus Defence & Space, installée dans la zone de la Clef Saint Pierre à Élancourt (tout à fait à l'ouest de Saint Quentin-en-Yvelines), ose affirmer : « une part importante de nos salariés habitent à l'est du plateau de Saclay » tout en présentant une carte des localisations de ses salariés qui montre que la vaste majorité de ses salariés est domiciliée dans le bassin de vie de Versailles-Saint Quentin.
Cela appelle d'ailleurs une remarque générale : puisque nous ne sommes pas en régime soviétique, chaque entreprise et ménage est libre de s'installer selon ses souhaits, mais en aucune manière ne peuvent-ils attendre de la collectivité de venir mettre à leur disposition un moyen de desserte commode quelle que soit leur localisation. Au contraire, il ne serait nullement aberrant que les pouvoirs publics les encouragent, par des incitations fiscales, à se localiser de manière à minimiser les distances habitat-travail. Cette remarque vaut également pour les étudiants qui fréquenteront les établissements de Paris-Saclay et qui réclament la Ligne 18 pour pouvoir « profiter des joies de la capitale », comme on peut le lire dans certains avis.
En marge des rapports d'évaluation du dossier de la Ligne 18
Avant d'être soumis à l'enquête publique, le projet de dossier d'enquête a été soumis – dès le printemps 2015, avant la fin de la « concertation renforcée » – à différents organismes officiels.
Plusieurs avis très critiques ont été formulés sur ce projet de dossier :
- l'avis du Syndicat des Transports d'Ile-de-France (STIF) du 7 octobre 2015,
- l'avis de l’Autorité environnementale (Ae) du 21 octobre 2015,
- l'avis du Commissariat général à l'investissement (CGI) du 6 novembre 2015.
La SGP a intégré ces rapports d'expertise dans le dossier soumis à enquête publique, assortis de ses réponses à chacun de ces rapports. Très souvent ces réponses renvoient à des études à effectuer ultérieurement, c'est-à-dire après l'enqueête publique !
Le rapport du CGI n'a pas été rendu public avant d'être annexé au dossier d'enquête, mais la presse s'en était faite largement l'écho. Rappelons que le CGI, placé sous l'autorité du Premier ministre, a été créé par le gouvernement en 2010 pour veiller à la cohérence de la politique d'investissement de l'État ; son actuel président, Louis Schweitzer, a été nommé par Manuel Valls. Or, au lendemain de la parution du rapport du CGI sur la Ligne 18, Philippe Yvin, président du directoire de la SGP, s'est empressé de faire savoir que le gouvernement n'en tiendra guère compte : "Cet avis existe, mais il ne nous empêchera pas de poursuivre ce qui est lancé".
Les trois autorités citées sont très critiques sur le projet qui leur est soumis. Bien que s'exprimant dans un langage châtié, l'Ae ne cache pas son mécontentement sur les nombreuses insuffisances qu'elle constate. A maintes reprises, elle observe que l'information fournie n'est pas du niveau qu'on attend d'un dossier d'enquête publique et ne permet pas au public de se faire une idée suffisamment précise pour pouvoir juger en connaissance de cause. Elle constate également à plusieurs reprises que des parties du dossier ont été copiées de dossiers d'autres lignes du GPE, alors que "il est incontestable que la ligne 18 est différente des autres lignes du GPE déjà examinées par l’Ae, en ce qu’elle a pour principal objet la desserte d’opérations de très grande envergure impulsées par l’Etat, sur des territoires qui n’avaient encore été que très partiellement urbanisés. Les méthodes d’évaluation utilisées pour les autres lignes de GPE ne sont donc pas nécessairement applicables."
Le manque d'évaluation globale
L'Ae s'élève contre le "saucissonnage" consistant à présenter les effets induits du seul projet de Ligne 18 sans les considérer dans le contexte du projet Paris-Saclay. Elle "souligne que, d'après l'article R.122-5 du code de l'environnement, l'étude d'impact devrait fournir une appréciation des impacts cumulés du programme de travaux, ainsi que celle des impacts cumulés du projet avec les autres projets connus. Plusieurs projets des CDT entrent dans les deux catégories : ZAC de l'École Polytechnique, ZAC du plateau de Moulon, infrastructures routières en cours de réalisation ou en projet (cf. RD 36, notamment). Or, cette appréciation, ainsi que, surtout, les mesures qui apparaîtraient nécessaires pour réduire les impacts significatifs, ne figurent pas, à ce stade, dans le dossier, pas plus qu'une analyse de la cohérence du projet présenté avec les projets de CDT pourtant antérieurs."
L'articulation avec le projet de requalification de la RD 36 et celui du tram-train Massy-Évry n'est guère abordée et l'Ae avertit qu'en ignorant ces interactions avec d'autres projets, on va au-devant de délais et de coûts supplémentaires par rapport au planning prévu.
Les associations locales ont depuis longtemps fait valoir que la Ligne 18 constituerait un puissant vecteur d'urbanisation, menaçant à terme la vocation agricole du plateau de Saclay, en dépit de la ZPNAF (zone de protection naturelle, agricole et forestière), dont les aménageurs font croire qu'elle est inviolable. L'Ae va dans le sens des associations en affirmant que "en plus de l’urbanisation planifiée, il ne peut être exclu que le projet aura des effets de long terme non planifiés, par densification de tissus existants ou par urbanisation nouvelle de terrains autres que ceux sur lesquels l’urbanisation est souhaitée aujourd’hui".
De même, les associations ont toujours critiqué l'approche de l'État consistant à se focaliser sur une solution préconçue sans étudier la problématique de la desserte du plateau de Saclay dans sa globalité et sans étudier des solutions alternatives. En outre, elles n'ont eu de cesse d'avertir que – du fait de la faible densité de population du territoire et de la provenance de ses usagers (en grande majorité locale) – le véritable problème de desserte du plateau se situera sur le plan de la circulation routière, celle-ci étant par ailleurs fortement contrainte par la configuration topographique du plateau. Le CGI rejoint ce point de vue en constatant l'absence de réflexion globale sur "une stratégie de déplacements tous modes dans le périmètre d'influence de la Ligne 18" et en soulignant que "le problème de desserte du plateau de Saclay n'est que très partiellement réglé par le projet de Ligne 18, et nous considérons que des analyses complémentaires sont nécessaires pour examiner les solutions permettant de faire face à la saturation de la RN 118".
Une évaluation socio-économique peu crédible,
une rentabilité improbable
L'Ae se montre très sceptique sur l'évaluation socio-économique pour l'ensemble du projet GPE, qui est jointe au dossier pour la Ligne 18. Elle en rappelle quelques hypothèses retenues par la SGP à l'horizon 2030 : croissance du PIB français de 1,5 % par an, croissance du nombre d'emplois grâce au GPE : 115 000. Rappelons que l'évaluation du nombre d'emplois et des bénéfices financiers générés (près de 70 milliards) grâce au GPE selon la SGP ont aussi été réfutées par la direction du Trésor, qui juge que "l'hypothèse de la SGP d'une rupture dans l'évolution de la population et de l'emploi en Île-de-France est peu réaliste" et que "le projet n'est pas rentable".
L'Ae observe que "comme souvent dans ces calculs, le gain de temps représente la part la plus importante des avantages actualisés". Or, il est bien connu que ces gains de temps sont illusoires. Ce phénomène, connu sous le nom de "conjecture de Zahavi", s'explique par le fait que dès la mise en place d'un nouveau tuyau de transport (route ou transport collectif) ou un tuyau plus rapide, les acteurs urbains en profitent pour se relocaliser : les ménages pour améliorer le confort de leur habitat (en termes de prix, espace, attractivité, etc.) et les entreprises dans l'espoir d'en tirer un gain de productivité. Ainsi, le "budget temps de déplacement" moyen d'un Francilien est de 1h30 et cette valeur n'a guère évolué depuis qu'on a commencé à la mesurer, en 1976. Au bout du compte, rien ne garantit que le bilan financier soit positif, compte tenu des frais récurrents de fonctionnement des nouvelles infrastructures et du fait que les relocalisations contribuent à l'étalement urbain et à la ségrégation sociale, qui induisent des coûts indirects. La pertinence du procédé consistant à attribuer une valeur monétaire aux gains de temps qu'apporterait une nouvelle infrastructure de transport est donc hautement discutable.
Concernant plus spécifiquement l'évaluation socio-économique de la Ligne 18, les prévisions de trafic sont de 3000 à 4000 voyageurs à l'heure de pointe à l'horizon 2024 et de 4500 vers 2030 ; avec un "éclairage complémentaire sur le potentiel de trafic associé à la ligne 18" (éclairage passablement fumeux) la SGP arrive à booster ce dernier chiffre à 6000, moyennant quoi on se rapproche des chiffres figurant dans le rapport Auzannet. Le nombre de voyageurs journaliers attendus vers 2030 ne dépasse pas 100 000 (150 000 avec l'"éclairage complémentaire"). Ce niveau de fréquentation ne justifie en aucune façon un moyen de transport lourd de type métro et cela d'autant moins que des transports lourds existent déjà à proximité quasi-immédiate des lieux à desservir. Déjà en juillet 2010, un article dans Le Monde "Le métro à Saclay, maillon faible du Grand Paris" indiquait la disproportion entre les trafics prévus et le moyen de transport lourd envisagé et rapportait que des experts en matière de transports estimaient qu'il s'agirait d'une gabegie. Le STIF estime que la rentabilité de cette ligne ne sera pas au rendez-vous. Le CGI fait l'inventaire des incertitudes qui planent sur l'évaluation socio-économique, dont l'Ae met en lumière la légèreté en citant le dossier qui indique que le calcul des effets socio-économique pose "de redoutables problèmes théoriques et pratiques" et en ajoutant, non sans ironie : "L’Ae souscrit aux remarques faites sur la complexité et les incertitudes pesant sur ces calculs".
Au sujet des coûts d'investissements, que la SGP évalue à 2,9 milliards hors matériel roulant, le STIF émet une réserve sur la crédibilité de ce montant, de même que sur celle du calendrier de réalisation. Le CGI pointe également une probable sous-estimation des coûts, non seulement en investissement mais aussi au niveau de l'exploitation, entre autres à cause du matériel spécifique choisi pour la Ligne 18 et de la non prise en compte de la nouvelle politique tarifaire. Il convient de noter qu'en tout état de cause, ce montant n'est que prévisionnel et que les coûts réels sont toujours bien supérieurs, parfois deux fois plus élevés. C'est pourquoi le CGI demande de "maîtriser les coûts par une meilleure estimation des risques qui pèsent sur les coûts de conception, travaux et exploitation".
La SGP estime qu'à l'horizon 2030, comparé au cas au où on ne ferait pas la Ligne 18, cette ligne augmenterait de 2,1 % le nombre de déplacements entre Paris et le secteur desservi par la ligne. Il est également estimé que la Ligne 18 allègera de 2,5 % la fréquentation du RER B et qu'elle augmentera de 4 % le nombre de déplacements en transports en commun liés au plateau de Saclay, ce qui ferait gagner aux transports en commun 0,6 points de part modale et perdre à la voiture 0,3 points. L’Ae et le CGI soulignent la faiblesse de ces chiffres, en regard de la fonction supposée "structurante" de la Ligne 18 et ne manquent pas de réclamer une étude plus précise sur la circulation dans les secteurs desservis par la Ligne 18.
On note par ailleurs que le STIF ne croit guère au délestage du RER B par la Ligne 18, car la charge maximale du RER B se situe sur la partie centrale de la ligne et la Ligne 18 n'aura que peu d'impact sur cette partie. Par ailleurs, le STIF fait valoir qu'aucune étude n'a établi un lien quantifié de cause à effet entre une variation de la charge d'une ligne et son taux de régularité.
L'Ae résume les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) qui interfèrent avec le tracé de la Ligne 18, notant que selon le dossier de la SGP elles ne posent pas problème sans que cela soit démontré. L'Ae observe également la légèreté avec laquelle sont traités l'intégration paysagère de la Ligne 18 et ses impacts sur l'émission des gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique. L'avis du CGI va dans le même sens.
Des avis extrêmement réservés,
le bon sens finira-t-il par l'emporter ?
Entre les lignes, on peut lire que l'Ae n'est pas convaincue de l'utilité de la Ligne 18 ! Pour sa part, le CGI émet un avis franchement défavorable sur le tronçon Saclay-Versailles et approuve du bout des lèvres le tronçon Orly-Saclay sous prétexte que "on ne peut totalement exclure que le plateau de Saclay représente une part très importante des bénéfices économiques élargis du GPE". Si le STIF émet un avis favorable – fut-il assorti de lourdes réserves – c'est pour des raisons politiques. D'ailleurs, le STIF demande à la SGP de justifier son évaluation socio-économique avant fin 2015, faute de quoi il engagera sa propre expertise ; il n'est toutefois pas certain que cette menace survivra au changement intervenu à la tête du STIF depuis les élections régionales.
Dans ce contexte, rappelons le récent rapport de la Cour des comptes, qui estime que les projets actuellement évoqués – notamment celui du GPE, celui du CDG Express et le projet d’extension du RER E – se heurtent à des difficultés financières et techniques, qui ne permettent pas de lever les incertitudes sur l’avenir des réseaux ferroviaires franciliens. Aussi recommande-t-elle de maintenir la priorité absolue donnée à l’entretien du réseau existant. Ce rapport s'inscrit dans le droit-fil du rapport "Moderniser le réseau ferroviaire francilien" publié par le Cercle des Transports en août 2015.
Un article dans Le Canard enchaîné du 9 mars 2016, des mains de Christophe Nobili et Jean-Luc Porquet, relatif au projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes, confirme que la pratique du saucissonnage des enquêtes publiques, dénoncée par l'Ae, est en infraction aux règlements européens. L'article cite un courrier de la Commission européenne du 25 novembre 2015 invitant la France à "porter une attention particulière à la consultation du public et de l'autorité environnementale, et à la prise en compte des commentaires qui seront formulés". D'où ce dessin du "Canard" :
Il semble évident que ces règles devraient également s'appliquer au projet Paris-Saclay !
Sous l'éclairage de ce faisceau convergent de prises de position critiques, citons cette conclusion très pertinente de l'article de la revue Mobilettre, sous la plume de Gilles Dansart, au sujet de l'avis du CGI sur la Ligne 18 :
"On attend aussi la réaction de l’Etat, qui a la paradoxale sagesse de faire évaluer ses propres projets par le CGI. Jusqu’alors, de nombreux responsables publics avertis et sensés se disaient piégés par l’unanimisme politique et la promesse faite aux citoyens lors des annonces très médiatiques du Grand Paris Express. Pourtant, des professionnels du transport, des architectes, des urbanistes avaient commencé à alerter sur l’irréalisme de certaines nouvelles infrastructures et à proposer des scénarii alternatifs – Mobilettre y reviendra prochainement.
La question suivante devrait donc se poser dès le mois de janvier au futur exécutif régional et à l’Etat : faut-il privilégier à tout prix le GPE dans son intégralité, au nom d’une cohérence globale, pour ne pas mécontenter les élus locaux et ne pas revenir sur le schéma initial, ou amorcer une revoyure générale des ambitions, y compris pour dégager des moyens supplémentaires à la modernisation de l’existant ?"