L'étude du Cercle des transports avertit qu'avec le Grand Paris Express (GPE) on est en train de faire fausse route, c'est-à-dire de dépenser des sommes colossales pour un bénéfice maigre pour les usagers, tout en creusant à la fois la dette publique et le déficit d'exploitation des transports franciliens. Autrement dit : le GPE est une fausse solution à un vrai problème.
Ce rapport ne se penche guère sur le cas particulier de telle ou telle ligne du GPE. Cependant, il est clair que la Ligne 18 du GPE s'inscrit dans la même trajectoire de dépenses inconsidérées, dans un contexte de disette budgétaire : afin de véhiculer vers et depuis le plateau de Saclay les quelque 20 % des usagers qui habitent Paris ou la proche couronne, on prévoit d'y engager une somme faramineuse pour construire un métro qui ne servira au mieux qu’à 5 000 voyageurs à l'heure de pointe. Nous avons démontré qu'en organisant le rabattement sur les gares des lignes de transport lourd existantes, les RER B et C, à l'aide de téléphériques et de navettes, on résoudrait le problème de la desserte du plateau de Saclay depuis Paris, économisant ainsi 6 à 9 milliards d'euros en investissement (en comptant les habituels dépassements) et des dizaines de millions d'euros de frais de fonctionnement annuels. On éviterait aussi un décalage d'une bonne décennie entre l'arrivée des établissements et de ce métro. Enfin, on ouvrirait une réelle perspective de report modal pour les usagers du plateau habitant les vallées limitrophes – beaucoup plus nombreux que les usagers parisiens – qui encombrent les routes d'accès au plateau et pour qui la Ligne 18 ne serait d'aucune utilité. Et par-dessus tout, cette approche permettrait d'écarter le spectre d'un plateau de Saclay massacré par une urbanisation massive, perspective inévitable à terme en cas de construction d'un métro.
Ce message n'est pas encore perçu par les instances qui nous gouvernent. On continue comme si de rien n'était et c'est ainsi qu'a été organisée, du 12 mai au 12 juin 2015, la "concertation post-débat public" concernant la Ligne 18. C'est une obligation légale pour le maître d'ouvrage, la Société du Grand Paris (SGP), en préalable à l'enquête publique, prévue pour début 2016. Aussi est-ce la SGP qui demande à la Commission nationale du débat public (CNDP) d'organiser cette concertation, que la SGP appelle pour sa part "concertation renforcée". La CNDP a rapporté cet événement dans son communiqué de décisions du 4 février 2015 et a désigné Mme Isabelle Jarry comme "garante chargée de veiller à la mise en ouvre des modalités d'information et de participation du public". À noter que les dates prévues pour cette concertation ont changé depuis la publication du communiqué.
Il se trouve que le président de la CNDP, Christian Leyrit, a récemment émis des propositions en faveur de la démocratie participative. Nos organisations associatives, qui militent depuis de longues années dans le sens de la consultation des citoyens en amont des prises de décisions, ne peuvent qu'applaudir cette initiative, notant toutefois que la mise en œuvre de ces propositions nécessitera une évolution des mentalités, qui ne pourra s'opérer du jour au lendemain. Mais mieux vaut la mettre en route aujourd'hui que demain ! En effet, nous aurions voulu qu'elle eût été réalisée avant-hier : le projet d'aménagement du plateau de Saclay, dont l'ampleur gigantesque n'est pas à démontrer, n'a jamais fait l'objet du moindre débat public !
En anticipation d'une telle évolution, la "concertation renforcée" sur la Ligne 18 présente une opportunité pour instaurer dès à présent des pratiques plus démocratiques dans les débats publics. Car si rien n'est fait, il est fort probable que la SGP viendra faire un "show", écoutera le public s'exprimer, pour ensuite faire ce qu'elle avait déjà décidé de faire, conformément au schéma bien rôdé illustré par ces dessins publiés par la Fondation Nicolas Hulot, qui sont hélas à peine caricaturaux :
Par conséquent, considérant qu'il n'est jamais trop tard pour revenir sur ses erreurs, nous avons communiqué au président de la CNDP notre souhait que tout soit fait pour obliger la SGP à réellement tenir compte de l'avis du public, à rendre compte de la façon dont d'éventuelles critiques sont prises en compte et à dûment justifier les conclusions qu'elle en tire. Car, comme il est indiqué dans l'avis de décision de la CNDP du 4 février, les modalités d'information et de participation du public sont proposées par la SGP, mais il appartiendra à la garante, Mme Jarry, de proposer des améliorations éventuelles.
La SGP nous a fournis un document sur l'état d'avancement des études sur la Ligne 18. Il confirme que la SGP a pris le parti d'un métro lourd comme sur le reste du réseau GPE, contrairement à l'option qui avait cours depuis deux ans : celle d'un "métro léger" de type VAL sur le modèle du métro de Rennes. Elle a aussi changé d'avis sur le type de roulement : au roulement sur pneu elle préfère désormais le roulement sur fer.
Nous persistons à considérer que le métro est à la fois une gabegie indécente en période de difficulté économique durable et à terme mortel pour l'avenir du plateau agricole. Nous préconisons une solution beaucoup moins onéreuse et plus rapide à réaliser, basée sur les moyens de transport lourds existant (les RER), assortis d'un réseau de téléphériques urbains reliant des gares de RER aux pôles du plateau (voir ci-dessous). La capacité de débit des RER est suffisante pour écouler le trafic prévu, mais elle peut (et doit) encore être améliorée, en particulier en aménageant le tunnel entre Châtelet-les-Halles et Gare du Nord ; un tel aménagement peut être réalisé à un coût nettement inférieur à celui de la Ligne 18 et profiterait à beaucoup plus de Franciliens.
Mais si on veut à tout prix réaliser la Ligne 18, le meilleur choix technique serait celui du tram-train. Dans l'étude comparative que nous avons réalisée en 2013 entre la solution à base de VAL et celle reposant sur le tram-train, cette dernière s'avérait à la fois plus performante et beaucoup (60 %) moins chère. Nous n'avons pas actualisé cette étude comparative pour le cas d'une solution métro lourd, mais il est fort probable que cette dernière sera au moins aussi onéreuse que celle à base de VAL ; elle élimine toutefois l'inconvénient de la spécificité du VAL.
Une caractéristique importante de la solution tram-train est qu'elle peut se réaliser sur le tracé du TCSP, le STIF ayant conçu ce tracé dans cette optique. Cette approche présente plusieurs avantages :
- En réunissant en une seule ligne la Ligne 18 et l'actuelle ligne de bus sur le TCSP, elle permettrait de réaliser un gain financier supplémentaire (non compris dans notre étude comparative), tant pour le matériel roulant que pour les infrastructures à mettre en place (pas de pont supplémentaire sur RN 118, pas de serpent en béton surélevé de 20 m à l'Ouest de Saclay, etc.). Contrairement à ce que laissent croire l'EPPS et la SGP, cela n'impacterait guère les temps de transport globaux : il y aurait certes davantage d'arrêts, mais en contrepartie les usagers seraient déposés plus proches de leur destination – sans oublier que typiquement, le temps passé dans les transports ne représente qu'un tiers du temps de déplacement de porte à porte. En outre, il serait possible de mettre en service des missions omnibus et des missions rapides.
- Elle serait nettement moins pénalisante sur le plan environnemental et paysager.
Il y a eu six réunions publiques dans le cadre de cette "concertation renforcée", qui couvre le trajet d'Orly à Versailles :
- à Versailles, le 12 mai,
- à Antony, le 18 mai,
- à Massy, le 20 mai,
- à Gif-sur-Yvette, le 26 mai (à Supélec amphithéatre Janet),
- à Guyancourt, le 27 mai,
- à Magny-les-Hameaux, le 11 juin.
A chacune de ces réunions publiques ont été présentées une ou plusieurs gares. Ainsi lors de la réunion à Supélec, la SGP a présenté les trois gares prévues sur le plateau de Saclay. Des réunions complémentaires ont été organisées à Wissous, le 8 juin, et à Voisins-le-Bretonneux, le 30 juin.
La SGP fournit des informations sur cette concertation sur un site dédié, qui permet de déposer des questions et des avis. Le fonctionnement de ce site a pendant longtemps été erratique : lorsque, en consultant la liste des questions et réponses, on voulait accéder à une autre page que la première, on obtient systématiquement un message d'erreur 'rien n'a été trouvé'. Ce défaut a été corrigé début septembre 2015.
Des contributions ont également pu être fournies directement par courriel à la garante de la concertation, Mme Isabelle Jarry (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).
Les comptes rendus des différentes réunions ont été publiés par la SGP sur son site, où on peut également "admirer" la présentation en 3D du tracé de la ligne.
COLOS a contribué un document présentant des solutions alternatives, notamment celle évoquée ci-dessus utilisant les lignes de RER existantes, associées à un réseau de téléphériques urbains reliant des gares de RER aux différents pôles du plateau. Pour la desserte de la frange sud du plateau, cette solution serait 10 à 20 fois moins chère que la Ligne 18, pourrait se réaliser à l'horizon 2020 et permettrait non seulement de desservir les sites de Polytechnique et de Moulon, mais également le parc de Courtaboeuf et en outre de relier Courtaboeuf aux pôles de Paris-Saclay.
L'association Essor de Versailles a contribué un document montrant que les prévisions de trafic sur la Ligne 18 sont surestimées et que les temps de parcours entre Massy et Versailles seraient plus longs avec la Ligne 18 au'avec les moyens de transport existants.
Dans les réponses données par la SGP aux nombreuses questions et remarques du public, il est frappant de constater la faiblesse des arguments avancés par la SGP pour justifier la construction de la Ligne 18 : il s'agit presque toujours de défendre cette ligne au nom de la facilitation des déplacements entre pôles d'activités. Or, comme nous l'avons répété maintes fois, cet argument est absurde, puisque les déplacements travail-travail ne représentent que 3 % du total des déplacements ; bien entendu, cela vaut également pour les déplacements vers et depuis les aéroports. Quand on connaît l'énormité des coûts des transports collectifs, on comprend aisément que les déplacements travail-travail ne peuvent jamais justifier un transport lourd.
Le bilan de cette concertation, y compris le rapport de la garante Mme Jarry, ne sera rendu public que le 2 décembre prochain. Le doute est permis quant à la prise en compte de ce bilan au niveau du dossier de l'enquête publique à venir, puisque la SGP a déjà sollicité l'avis de l'Autorité environnementale sur un dossier d'enquête publique bouclé en juillet dernier.