Dans l'intérêt d'une information complète des électeurs, mais sans prendre parti pour un candidat ou un parti, nous avons soumis un questionnaire aux candidats aux législatives dans les 5e et 6e circonscriptions de l’Essonne, comportant deux questions simples :

1. Êtes-vous favorable à la préservation des terres agricoles du plateau de Saclay ?

2. Êtes-vous favorable au tronçon Saclay-Versailles de la ligne 18 du Grand Paris Express ?

Nous avons consigné les réponses reçues dans un document séparé Législatives 2022 – interpellation des candidats 5e et 6e circonscription de l'Essonne.

 

Notre appréciation des réponses reçues

Tous les candidats qui ont répondu à notre questionnaire se disent, sans exception, favorables à la préservation des terres agricoles du plateau de Saclay. Tant mieux !

Mais cinq candidats estiment que cette préservation est compatible avec la présence d'un métro qui prendrait en écharpe ces terres agricoles précieuses.

En réponse à la question posée par l'un des candidats « Un tronçon Saclay-Versailles pourquoi pas ? », rappelons que nous avons déjà amplement commenté la nocivité du tronçon Saclay-Versailles, avec la perspective inéluctable d'une urbanisation massive du plateau de Saclay – dont le lobby du BTP ne manquerait pas de s'occuper, une fois le métro en place, d'autant qu'à cette échéance il aura besoin de remplacer le jackpot du GPE par d'autres sources de revenus... Cela exaucerait le vœu de Christian Blanc, qui préconisait de « mettre un terme à la vocation agricole du plateau ». D'ailleurs, sa loi du Grand Paris du 3 juin 2010 est extrêmement facile à modifier pour que vole en éclats la protection apportée par la zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF) ; ceux qui croient – ou feignent de croire – à son inviolabilité sont soit des naïfs, soit des imposteurs.

Passons en revue les principaux arguments avancés à présent par les candidats.

 

« Le métro ferait sortir de la logique "tout voiture" »

Voilà un de ces mythes qui relèvent du concept des « transports structurants ». Les urbanistes en charge de l'aménagement savent que c'est faux, mais de très nombreux élus n'en sont pas conscients et se laissent séduire par le discours – simpliste et fallacieux mais plausible en apparence – de certains professionnels de la mobilité, tels ceux de la Société du Grand Paris (SGP) qui promettent des gains de temps, une réduction de l'étalement urbain et une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Normalement, les besoins de transports devraient découler d'un plan d'urbanisme, mais très souvent cette logique est renversée :  l'urbanisme est censé accompagner et conforter la mise en place d'infrastructures de transport. Résultat : ce qui se passe dans la réalité est toujours très éloigné de ce qui était prévu.

Ainsi, on se fait beaucoup d'illusions sur le potentiel de transfert modal entre voiture personnelle et transport collectif grâce au Grand Paris Express (GPE). En effet, en dehors des zones denses possédant un réseau bien maillé (comme à Paris), il est extrêmement difficile pour les transports collectifs de concurrencer le service de déplacement porte-à-porte offert par la voiture.

Une étude réalisée par la DRIEA Île-de-France [1] Synthèse des études de trafic de septembre 2010 démontrait déjà qu'à l'horizon 2035, sans le nouveau réseau planifié (à l'époque le « Réseau de transports du Grand Paris », dénommé le « Grand Huit »), le nombre de déplacements quotidiens automobiles en Île-de-France serait de 19,22 millions, alors qu'avec ce nouveau réseau il serait de 19,13 millions, soit une baisse des circulations automobiles quasi-nulle (0,5 %).

Certes, cette étude est assez ancienne, mais l'étude de la DRIEA Île-de-France de mars 2021 Modélisation des déplacements en IDF avec MODUS 3.1 évalue à 0,9 % la diminution de la part modale des voitures particulières à l'horizon 2030, et cela sans prendre en compte l'impact de la pandémie. On ne sort donc pas de l'épaisseur du trait. 

Ces résultats montrent bien la très faible influence d'un nouveau réseau de transport collectif métropolitain sur la circulation routière. À plus forte raison, dans la zone très peu dense du plateau de Saclay, il est fort peu probable que la ligne 18 puisse faire diminuer de façon significative les déplacements en voiture individuelle et cela d'autant plus que l'orientation est-ouest du métro ne lui permettrait pas de capter le flux sud-nord, qui sont nettement majoritaires dans ce secteur.

Mais en outre et surtout, ces modélisations du trafic ne tiennent aucun compte du « trafic induit », qui va de pair avec un étalement urbain accru car il résulte des relocalisations des ménages et des entreprises provoquées par la mise en place du nouveau réseau. Or, le volume de ce trafic induit est tout à fait susceptible de dépasser celui du trafic modélisé.

En corollaire de ce qui précède, viser des « avantages en termes de transport » (selon l'expression d'un candidat) est indigent si on ne vise pas d'abord des avantages en termes d'aménagement du territoire, faute de quoi les transports lourds ont toutes les chances d'être déstructurants.

Une ligne de métro n'a une chance d'être économiquement viable que si elle transporte au moins 6000 passagers par heure dans chaque sens à l'heure de pointe. Or, comme le montre le « serpent de charge » ci-dessous [2], issu de récentes modélisations de la DRIEA Île-de-France, celles-ci n'en prévoient pas plus que 4400 entre Orly et Saclay et au maximum 2300 sur le tronçon Saclay-Versailles :

 

Serpent charge ligne 18 2030 DRIEA IF juin 2020

 

Ce dont on a réellement besoin en matière de desserte de Paris-Saclay pour espérer pouvoir concurrencer l'automobile, ce n'est pas un transport lourd de transit avec seulement trois gares éloignées les unes des autres et qui ne sert qu'à transporter des usagers entre Paris et Saclay, mais d'un réseau finement maillé de desserte de proximité, pour véhiculer les usagers, largement majoritaires, qui résident près du « campus urbain ». Compte tenu de la faible densité du territoire, ainsi que des difficultés d'accès dues à sa configuration topographique, ce n'est envisageable économiquement qu'avec des moyens légers à très faible coût (financier comme énergétique). Il n'y a guère que la solution CarLina qui corresponde à ce signalement.

 

« Connecter notre territoire aux autres pôles franciliens »

Le propre d'une ville est de réunir en son sein une quantité et une diversité de compétences et de branches économiques permettant d'atteindre des performances collectives dépassant celles que procurerait la somme des talents individuels. À plus forte raison, c'est vrai pour une mégapole comme l'Île-de-France, mais celle-ci, contrairement à une ville moyenne, est beaucoup trop vaste pour pouvoir fonctionner comme un bassin d'emploi unique que l'on traverse de part en part, par exemple en habitant Survilliers (95) pour aller travailler à Orly. Les territoires franciliens doivent donc être interconnectés pour fonctionner en réseau, mais pas tous azimuts. Les besoins de déplacement entre pôles d'emploi ne représentent que 3 % des besoins totaux et ces besoins ont tendance à diminuer avec la diffusion des moyens de communication numériques. Par conséquent, lorsqu'on met en place une liaison capacitaire entre deux pôles d'emploi, elle sera largement phagocytée par les déplacements domicile-travail. Permettant de parcourir une plus grande distance en un temps équivalent et l'habitat coûtant moins cher en périphérie qu'au centre, cela alimente mécaniquement l'étalement urbain. Or, parmi les lignes du GPE, seules les lignes 14 et 15 raccordent des pôles de main-d'œuvre à des pôles d'emploi, les autres relient des pôles d'emploi entre eux et sont donc contre-productives.

Plus spécifiquement, la ligne 18 a pour vocation de relier trois bassins : Orly/Rungis, Antony/Massy/Les Ulis et Versailles/Saint-Quentin. Comme l'a démontré une analyse précise de Jacqueline Lorthiois, ces bassins ont très peu de rapports entre eux, ce qui se traduit par de très faibles flux de transports interbassins. De surcroît, le bassin Versailles/Saint-Quentin englobe une « zone cohérente » exemplaire, où plus de la moitié des actifs habitent et travaillent dans la même zone. Diluer cette cohérence serait particulièrement contre-productif et totalement contraire au souhait de l'un des candidats de « préserver notre mode de vie ». En effet, les dirigeants de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines (CASQY) ne semblent pas conscients de cette situation privilégiée et ne se rendent donc pas compte qu'ils marquent contre leur camp en soutenant le tronçon Saclay-Versailles de la ligne 18.

 

Pôles desservis par ligne 18

Cela montre également que les déplacements de banlieue à banlieue passant par Paris n'existent pas pour les usagers censés emprunter la ligne 18.

 

« Fermer la boucle »

L'idée que la ligne 18 ne doive pas « se terminer en cul-de-sac » (expression que nous a servie le Préfet de l'Essonne) est tout à fait étrange, puisque toutes les lignes du métro parisien sont dans ce cas.

 

Notes

[1] Au 1er avril 2021, la DRIEA Île-de-France a été fusionnée avec la DRIEE Île-de-France et s'appelle depuis lors DRIEAT (Direction régionale et interdépartementale de l’Environnement, de l’Aménagement et des Transports) Île-de-France. Par souci d'homogénéité, nous n'utilisons ici que l'ancienne dénomination de ce service de la Préfecture de la région d'Île-de-France

[2] Le serpent de charge met en carte les nombres de passagers transportés sur chacune des sections reliant deux gares successives. Par modélisation, on évalue pour chaque gare le nombre de personnes qui montent et le nombre de celles qui descendent, la différence constituant la charge. Dans la figure, les chiffres au-dessus du serpent concernent les déplacements est-ouest, ceux dans le sens opposé figurant en-dessous.