C'est sous le titre "Halte à l’esbroufe !" que l'édito de La Voix du Plateau n° 17, publiée par l'UASPS le 17 novembre 2014, dénonçait, dans le cadre de l'enquête publique sur le CDT Paris-Saclay Territoire Sud, les opérations de marketing et de communication pratiquées par les pouvoirs publics, en ces termes :

"Le marketing et la communication, à travers des discours incantatoires et le "storytelling", prennent désormais le pas sur l'affichage d'arguments objectifs, factuels et vérifiables.

Les pouvoirs publics pratiquent l'esbroufe et la désinformation, en serinant des idées fausses et des contre-vérités, afin de les installer dans l'opinion publique. Il s'agit souvent d'illusions alimentées par un manque de compétence et/ou par une vision simpliste qu'on se garde bien de confronter à la contradiction d'experts indépendants.

Le projet du Grand Paris et son réseau Grand Paris Express ont été promus en diffusant des contes, des comptes et des mécomptes de fée, jouant sur la sensibilité des Français au mythe du grand projet qui résout tous les problèmes. Ainsi, l'État a pu lancer un investissement pour le réseau de transport de 42 milliards (hors dépassements), sur la base d'évaluations aussi approximatives que désinvoltes, faites par ses propres services.

Le projet du cluster Paris-Saclay suit la même trajectoire, sans même avoir été soumis à un débat public. Le CDT pour la frange sud du plateau consolide ce projet de cluster, englobant des opérations déjà en cours – les ZAC de Polytechnique et de Moulon – et en rajoute une flopée d'autres, en général des opérations locales. Le tout donnant l'impression d'une liste au Père Noël."

Voici un petit échantillon de phrases ronflantes tirées de discours et documents officiels vantant les mérites du projet Paris-Saclay :

"Paris-Saclay est un projet scientifique et économique exceptionnel au service de la croissance et de la création d’emplois."

"Paris-Saclay est un projet majeur d’aménagement du territoire au service du développement des entreprises et des établissements de recherche et de la qualité de vie des habitants, afin de devenir un avantage compétitif essentiel dans un environnement mondial hautement concurrentiel."

"Un exemple national du redressement de notre compétitivité et de notre appareil industriel."

"Paris-Saclay est un projet phare du Grand Paris. Son ambition est d’inscrire Paris et la France sur la carte des premiers pôles mondiaux de l’économie de la connaissance."

"Excellence académique, renommée des établissements d’enseignement supérieur, concentration d’activités de recherche et développement, force industrielle des pôles d’activités majeurs de l’Essonne et des Yvelines, tissus de PME innovantes : Paris-Saclay possède les atouts pour répondre aux enjeux d’une économie mondiale en profonde mutation et s’adapter au modèle d’innovation du XXIe siècle."

Ne reposant sur aucune réalité palpable, ces propos incantatoires relèvent de la méthode Coué et consistent à prendre ses désirs pour des réalités. Ils sont destinés à faire rêver le citoyen et à justifier auprès de lui les milliards d'euros d'argent public engloutis dans ce projet.

Ce type de discours a été pris pour argent comptant par un journaliste américain qui est venu faire une excursion à Saclay ; ses propos sont résumés ainsi :

"Le site de Paris-Saclay est considéré par la MIT Technology Review comme l’un des huit clusters les plus importants au monde, à côté de la Silicon Valley ou de la Tech City de Londres."

 

 

Eh bien, l'esbroufe continue ! Dans un communiqué de la Préfecture de l'Essonne publié par l'Essonnien – à l'occasion de la construction d'une "cabane de résistance" sur le plateau – on peut lire, entre autres :

"Le projet Paris Saclay est à la fois un projet scientifique, économique et d’aménagement dont la contribution au rayonnement de notre pays est d’ores et déjà déterminante. Le plateau de Saclay et ses environs réunissent en effet tous les ingrédients d’un « cluster » multisectoriel, capable de rivaliser avec les grandes plates-formes universitaro-industrielles d’Europe, d’Amérique et d’Asie."

Sans compter qu'un cluster multisectoriel est un oxymore – puisque le propre d'un cluster est d'être organisé autour d'une spécialisation et non autour de multiples spécialisations –, la capacité du cluster Paris-Saclay de rayonner sur la scène internationale est totalement hypothétique et, en fait, peu probable. Dans une analyse critique de la pertinence du cluster, nous montrons d'une part que le cluster est en décalage avec son époque et d'autre part que son gigantisme le voue à l'échec.

 

Le communiqué préfectoral évoque aussi la desserte du plateau par la ligne 18 du Grand Paris Express :

"Le réseau du Grand Paris Express est, quant à lui, un projet stratégique pour le devenir de l’Île-de-France. La ligne 18 reliant Orly à Versailles puis plus tard Nanterre desservira le territoire de l’OIN Paris Saclay et permettra d’améliorer son accessibilité au reste de la métropole du Grand Paris. (…) Ce sera la colonne vertébrale de la desserte du plateau de Saclay par un transport collectif, pour le bénéfice des habitants et des activités du territoire."

Là encore, on a affaire à des propos incantatoires dépourvus de fondement.

Concernant le Grand Paris Express en général, l'étude très fouillée publiée en décembre 2014 par le Cercle des Transports – une association d'experts du domaine des transports : anciens hauts fonctionnaires, universitaires et dirigeants d'entreprises – montre qu'on est en train de faire fausse route avec le Grand Paris Express, c'est-à-dire de dépenser des sommes colossales pour un bénéfice maigre pour les usagers, tout en creusant gravement à la fois la dette publique et le déficit d'exploitation des transports franciliens. Le Grand Paris Express est donc le contraire d'un projet stratégique. Ce rapport fait écho aux critiques sévères exprimées par des experts indépendants réputés, tels Jean-Pierre Orfeuil et Jean Vivier, lors du débat public de la CNDP sur le réseau "Grand Huit" (octobre 2010 - janvier 2011), mais ces avis ont été superbement ignorés. Le rapport du Cercle des Transports est en outre étayé par des évaluations techniques et financières. Au lieu d’ignorer à nouveau l'avis des experts, l’État serait bien avisé de les écouter sérieusement afin d’arrêter le gaspillage d’argent public.

Par ailleurs, on attribue souvent au Grand Paris Express la vertu de faire diminuer les déplacements en voiture individuelle. Or, cette affirmation simpliste est fausse. Une étude de la DRIEA de 2010 montrait qu'à l'horizon 2035, sans le "Grand Huit" le nombre de déplacements quotidiens en Île-de-France serait de 19,22 millions, alors qu'avec le "Grand Huit" il serait de 19,13 millions, soit une baisse des circulations automobiles quasi-nulle (0,5 %).

Concernant plus spécifiquement la Ligne 18, ce serait une colonne vertébrale avec seulement trois vertèbres ? On escamote le problème du "dernier kilomètre". En fait, pour certaines destinations, l'ENSTA par exemple, il serait plus efficace d'emprunter le TCSP Massy-Saclay que la Ligne 18. Ce qui montre bien que ces deux lignes, plus ou moins parallèles et reliant les mêmes extrémités, entreraient en concurrence, diminuant ainsi la pertinence de chacune.

Comme nous l'avons maintes fois affirmé, l'utilité de la Ligne 18 ne serait que marginale car elle ne servirait qu'à transporter des habitants de Paris ou de la proche couronne, soit seulement quelque 20 % de l'ensemble des usagers du plateau ; en revanche, elle n'a aucun intérêt pour les autres usagers, en grande majorité installés dans l'Essonne. Le vrai problème de la desserte du plateau de Saclay n'est donc pas celui de se déplacer entre Saclay et Paris.

Ce serait aussi une solution démesurée : le plateau de Saclay est une zone périurbaine très peu dense, y implanter un métro serait un non sens économique, voire le délire complet. En effet, les besoins estimés (4100 passagers/heure vers 2025, 6000 à l'horizon 2035, chiffres que l'on retrouve dans le rapport Auzannet, mais qui sont probablement surestimés) ne justifient en aucune manière un métro, qui deviendrait fatalement un gouffre financier, en investissement comme en fonctionnement. Même avec 35 000 habitants supplémentaires sur le plateau, ce territoire restera une zone périurbaine de faible densité.

Il n'y a aucun besoin de "désenclaver le plateau", comme on l'entend parfois, puisque celui-ci est desservi par des RER au Nord et au Sud, si bien qu'aucun point du plateau n'est éloigné de plus de 3 km d'une gare de RER. Nul besoin non plus de "relier ce territoire par une connexion rapide aux aéroports, aux gares, et aux autres pôles d’activité franciliens" ; c'est encore un non sens économique puisque les déplacements travail-travail ne représentent que 3 % du trafic total. Quand on connaît l'énormité des coûts des transports collectifs, on comprend aisément que ces déplacements travail-travail (y compris ceux vers et depuis les aéroports) ne peuvent jamais justifier un lien de transport lourd. Ce qui n'empêchait pas le président Sarkozy d'affirmer : "Qui peut honnêtement imaginer que nous réaliserions ici un campus d'ambition mondiale sans le raccorder directement, c'est-à-dire en moins d'une demi-heure, au centre de Paris ?" Ni Valérie Pécresse de réclamer la Ligne 18 au nom du Prix Nobel ou Médaille Fields qui viendrait visiter Paris-Saclay. Un récent pamphlet gouvernemental donne toujours dans le même registre. On ne peut qu'en conclure que la Ligne 18 est purement un objet de prestige, en décalage total avec l'état des finances publiques.

Par-dessus le marché, en s'arc-boutant sur leur métro, les porteurs du projet compromettent leur propre projet, car la Ligne 18 arriverait une bonne dizaine d'années en retard par rapport à l'implantation des établissements d'enseignement et de recherche. La promesse de son achèvement en 2024 est un miroir aux alouettes, elle n'engage que ceux qui y croient. L'expérience montre que les délais de réalisation de projets de cette ampleur dépassent toujours de beaucoup les prévisions, parfois du simple au double voire plus ; les exemples abondent, citons seulement la Ligne 15 Sud et le prolongement au Nord de la Ligne 14 du Grand Paris Express : deux ans de retard pour des chantiers à peine commencés.

Par conséquent, si l'on estime que l'accessibilité du plateau depuis Paris est indispensable pour l'attractivité du campus-cluster, il est urgent de trouver une solution autre que la Ligne 18, qui puisse se réaliser dans des délais compatibles avec le planning d'implantation des établissements d'enseignement et de recherche (pour l'essentiel, de 2016 à 2020). Sans compter que le mode de réalisation envisagé pour la Ligne 18 est particulièrement dispendieux ; nous avons démontré qu'on pourrait en réduire le coût de quelque 60 % en utilisant le tram-train au lieu d'un "métro "léger" (et par la même occasion, réunir la Ligne 18 et le TCSP Massy-Saclay en une seule ligne de transport).

La solution que nous proposons de mettre en place s'appuie sur les moyens de transport lourd existants, à savoir les lignes de RER, dont il est nécessaire d'améliorer le fonctionnement, mais dont la capacité de débit est suffisante par rapport aux besoins estimés ; néanmoins, celle-ci peut et doit être augmentée, notamment en aménageant le tunnel entre Châtelet-les-Halles et Gare du Nord. Le rabattement sur les gares de RER repose sur l'utilisation de téléphériques urbains permettant de transporter des flux de passagers importants car pouvant atteindre des débits très respectables, jusqu'à 6000 passagers/heure dans les deux sens. En complément à ce réseau de téléphériques, la desserte fine est assurée par le TCSP Massy-Saclay, au besoin complémenté d'une flotte de navettes, à l'instar de celles qui fonctionnent dans certaines communes du secteur.

Cette solution permet non seulement de desservir le plateau de Saclay mais aussi celui de Courtaboeuf, et en outre de réaliser l'interconnexion de ces sites

Elle ouvre par ailleurs une perspective de report modal pour les nombreux usagers du plateau de Saclay installés dans les vallées de l'Yvette et de Chevreuse, voire au-delà ; ce point est important car le problème majeur de la desserte du plateau va être de faire face à l'accroissement du trafic routier, problème auquel l'EPPS a reconnu ne pas être sûr d'avoir une solution !

Cette solution offre donc un service qui va bien au-delà de ce que propose la Ligne 18. Bien sûr, elle ne fait rien pour relier Saclay à Saint Quentin en Yvelines, mais le besoin de cette liaison est loin d'être démontré. Le rapport Auzannet lui attribue une faible pertinence, à juste titre car Saint Quentin forme un bassin de vie et d'emploi avec Versailles et les liens avec le bassin de vie et d'emploi qui englobe Saclay sont très lâches. Par conséquent, un lien de transport capacitaire entre ces deux pôles serait parfaitement disproportionné.

Sous réserve d'inventaire, le même type de solution peut être mise en œuvre pour desservir plusieurs points du pôle de Satory-La Minière.

Comme on pouvait s'y attendre, le communiqué préfectoral prétend que les terres agricoles du plateau sont à l'abri de toute urbanisation grâce à la ZPNAF :

"ce dispositif juridique constitue une garantie que le projet d’aménagement du plateau de Saclay ne se fera pas au détriment des terres agricoles qui offrent une exceptionnelle richesse paysagère, environnementale et nourricière."

Dans l'hypothèse où la Ligne 18 se réaliserait, nous ne partageons pas ce point de vue car il n'existe aucun exemple d'une liaison de transport lourd qui ne soit pas un puissant vecteur d'urbanisation. Même si la protection de la ZPNAF est forte, puisqu'inscrite dans la loi du Grand Paris, aucune loi n'est immuable (et celle du Grand Paris a déjà été modifiée plusieurs fois), si bien qu'à terme la ZPNAF ne résisterait pas à la présence d'un métro sur le plateau.

 

Enfin,

"Le préfet de l’Essonne, au nom de l’intérêt général, regrette et condamne les désinformations."

Nous croyons avoir démontré que, malgré les apparences du "storytelling", les désinformations (ou affirmations gratuites) sont du côté de l’État !

Il serait peut-être opportun de suivre la résolution de Valérie Pécresse (dans son tweet du 22 mai 2015) :

"On arrête les phrases creuses qui n'aboutissent à aucun résultat…"