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Nous avions déjà constaté que l'EPPS, le bras armé de l'État pour aménager le plateau de Saclay dans le cadre d'une opération qui se veut d'intérêt national, est rarement envahi par le doute quant au bien-fondé de sa démarche, dont le gigantisme n'est plus à démontrer ("Ce projet, gigantesque, n’est pas nécessairement bien connu aujourd'hui de nos concitoyens, tant sa taille que son ampleur") et qu'on a pris soin d'exposer le moins possible à la contradiction d'experts indépendants.

Il y a pourtant de quoi s'interroger. Visant une population de 71 000 étudiants et chercheurs, l'EPPS se targue de créer un campus deux fois plus grand que celui de l'université californienne de Berkeley. Or, aucune des universités parmi le "top 20" mondial n'atteint cette taille, loin s'en faut, et le campus de Berkeley est le plus grand parmi le "top 10" mondial. Paris-Saclay voudrait-il donc donner des leçons de gigantisme aux Américains ?! On croit rêver ! Selon le récent prix Nobel Jean Tirole, "le standard international pour les universités de recherche intensive est de 10 000 à 15 000 étudiants, avec quelques exceptions jusqu’à 30 000. Au-delà, la structure devient trop grosse pour être gérable."

Avec son esprit de gigantisme, Paris-Saclay va réincarner la fable de la grenouille qui se veut plus grosse que le bœuf, qui se termine ainsi : "La chétive pécore, s'enfla si bien qu'elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages ; tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs ; tout petit prince a des ambassadeurs ; tout marquis veut avoir des pages.". Moralité : si l'EPPS persiste à surdimensionner son projet par rapport à la capacité d'accueil du territoire dans lequel il s'insère, son projet tournera immanquablement au fiasco, ruinant au passage le cadre de vie de tout le territoire du plateau de Saclay, pourtant un élément crucial de son ambition.

Nous avons déjà amplement mis en évidence le peu de pertinence du principe même du cluster Paris-Saclay, dernièrement lors de l'enquête publique sur le CDT. Mais l'EPPS, obnubilé par ses rêves et ses fantasmes, poursuit obstinément son travail d'aménagement – domaine dans lequel il manque de compétence et d'expérience – sans se soucier sérieusement des conséquences sur le plan de la circulation routière, considérant sans doute que "l'intendance suivra"… Pourtant, de ses propres aveux, il n'a aucune solution à ce problème. Il tente de se donner bonne conscience en pariant sur un report modal (de la route vers les transports collectifs), qui est non seulement improbable, mais de toute façon largement insuffisant.

Cette obstination désinvolte – probablement imprégnée de l'idée que les serviteurs de l'État sont omniscients et infaillibles et que l'OIN leur permet de ne pas s'embarrasser de scrupules – a généré un climat de ras-le-bol parmi les associations, y compris celles qui avaient adopté une attitude constructive, qui a maintenant gagné les rangs des élus de la CAPS. Dans leur séance du 9 avril 2015, les conseillers communautaires ont voté à l'unanimité une "motion relative aux aménagements de la frange sud du plateau de Saclay", également rapportée par la presse, exprimant leur fort mécontentement sur les comportements de l'EPPS, qui, sous prétexte d'urgence, ne consulte personne et fait fi de leurs objections, bref "n'en fait qu'à sa tête" !

Dans les colonnes du journal L'Opinion, Grégoire de Lasteyrie, maire de Palaiseau, et président-délégué de la CAPS, a publié une tribune sous le titre "L’Etat est-il en train de tuer Paris-Saclay ?", dans laquelle il fait part de ses craintes de voir l'autisme de l'EPPS aboutir au sabordage de son propre projet.

Nous partageons son sentiment de frustration et de malaise, mais pas exactement pour les mêmes raisons.

Prétendre, comme il le fait, que Paris-Saclay pourrait apporter un point de croissance à l'économie française nous paraît tout à fait fantaisiste, dans la même veine que l'affirmation du député-maire de Versailles, François de Mazières, qui ne craignait pas le ridicule en qualifiant Paris-Saclay de "territoire majeur dont dépend l'avenir économique de notre pays". Tout cela ne repose sur rien de tangible et ne fait que prolonger les incessants discours incantatoires dont on nous abreuve pour promouvoir ce projet (y compris dans L'Opinion, d'ailleurs). Rappelons que naguère Christian Blanc nous promettait quatre points de croissance et un million d'emplois grâce aux Grand Huit ; aujourd'hui, la SGP avance le chiffre de 115 000 emplois… ce qui reste parfaitement hypothétique. Bref, on était et on est toujours dans le domaine des rêves et des illusions.

Dès la création de l'OIN en 2005, nous avons exprimé le souhait que Paris-Saclay réussisse, tout en affirmant que pour avoir une chance de succès, ce projet doit renoncer au gigantisme et s'adapter au territoire d'accueil plutôt que l'inverse. Faute de quoi, on jouera perdant-perdant : perdant pour l'attractivité du cluster, pour le cadre de vie territoire de Saclay, et pour les finances publiques.