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Le CDT en général – quelques repères

Le CDT (contrat de développement territorial) est un dispositif nouveau dans le droit de l'urbanisme français, introduit par la loi du 3 juin 2010, dite loi du Grand Paris. C'est un contrat signé entre l'État (représenté par le préfet de région) et les collectivités locales pour mettre en œuvre le développement économique, urbain et social d'un territoire que l'État considère comme stratégique. Il définit "les objectifs et les priorités en matière d'urbanisme, de logement, de transports, de déplacements et de lutte contre l'étalement urbain, d'équipement commercial, de développement économique, sportif et culturel, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers et des paysages et des ressources naturelles". Il est aussi supposé définir le calendrier de réalisation des opérations d'aménagement et en évaluer le coût. Le terme "contrat" est trompeur : il s'agit plutôt d'un contrat moral et n'implique donc pas une garantie de financement par l'État, hormis celui du réseau de transport (dont le financement n'est pas non plus gravé dans le marbre...). Un CDT est conclu pour 15 ans, mais peut être révisé.

La loi du Grand Paris visait en particulier le collier de clusters égrenés le long du réseau de transport "Grand Huit", qui a par la suite évolué vers le Grand Paris Express. Cette vision – reposant à la fois sur une spécialisation irréaliste et hautement contestable des territoires et sur une large surestimation du caractère structurant des transports publics, mais promu à coups de promesses fantaisistes de création d'emplois – a été dénoncé par différents experts en urbanisme comme excessivement simpliste et artificielle, et potentiellement contre-productive. Comme l'atteste une étude de l'IAU-IdF, il est vrai que dans certains territoires, la démarche de création du CDT, stimulée par la promesse d'arrivée d'une ligne de métro financée par l'État, a créé une certaine dynamique locale ; cependant, les retombées concrètes de cette démarche – positives et/ou négatives – restent entièrement à démontrer.

Dans sa version initiale, la loi du Grand Paris définissait le CDT comme une démarche contractuelle entre l'Etat et des communes (ou des groupements de communes), court-circuitant à la fois la région Île-de-France et les départements ; en outre, elle ne comprenait aucune procédure de concertation avec les habitants, telle une enquête publique. Après le changement de gouvernement en 2012, ces caractéristiques dérogatoires ont été rectifiées : désormais la Région, les départements et des acteurs institutionnels comme Paris Métropole, l'AIGP (Atelier international du Grand Paris) et l'AMIF (Association des maires d'Île-de-France) peuvent participer à l'élaboration des CDT, la Région et les départements pouvant également en être signataires.

Chaque CDT est soumis à évaluation environnementale et doit être compatible avec le SDRIF – ce qui n'est pour l'instant qu'une formalité puisque le SDRIF a été révisé en tenant compte des CDT en projet. Le CDT n'emporte pas mise en compatibilité des documents d'urbanisme locaux ; en revanche, ceux-ci ne peuvent faire obstacle à la mise en œuvre du CDT.

Répertoriés par l'IAU-IdF, il existe actuellement 22 projets de CDT, dont l'état d'avancement est très variable d'un projet à un autre ; 9 CDT ont été signés après enquête publique. Les auteurs de la loi du Grand Paris avaient très largement sous-estimé les délais d'élaboration des CDT. Aussi, cette loi a-t-elle été modifiée par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPAM ou MAPTAM) du 27 janvier 2014, qui repousse au 31 décembre 2014 la date butoir pour lancer les enquêtes publiques.

Le CDT de la frange sud du plateau de Saclay

Sur le plateau de Saclay, il est prévu d'établir deux CDT, l'un pour le secteur de Satory, l'autre pour la frange sud. En janvier 2012, à peu près en même temps que le protocole d'accord entre l'EPPS et la CAPS, l'EPPS a publié le SDT (schéma de développement territorial), socle commun pour ces deux CDT. Le CDT pour la frange sud, intitulé "CDT Paris-Saclay Territoire Sud", concerne sept communes de la CAPS : Palaiseau, Orsay, Bures-sur-Yvette, Gif-sur-Yvette, Les Ulis, Saint-Aubin et Saclay. Il a été élaboré par l'EPPS et la CAPS, dans le secret des "comités de pilotage", sans la moindre consultation de la société civile ; même le conseil communautaire de la CAPS et les conseils municipaux concernés ont été tenus à l'écart ; le comité consultatif de l'EPPS n'a été consulté qu'après coup. Après de nombreuses itérations, un document consolidé (version 6.1) a été publié sur le site de la préfecture de région le 6 septembre 2013. On avait prévu de le soumettre à enquête publique au printemps 2014, ce que la proximité des élections municipales a rendu impossible.

Après ces élections, justement, la donne a changé : nombre de maires n'ont pas été réélus, notamment à Palaiseau, Les Ulis et Igny. Lors de la première séance du nouveau Conseil communautaire, le 17 avril 2014, les principaux candidats à la présidence de la CAPS – Grégoire de Lasteyrie, nouveau maire de Palaiseau, et Michel Bournat, maire réélu de Gif-sur-Yvette – ont déclaré vouloir rompre avec les pratiques pas toujours très démocratiques de l'équipe précédente et revoir à la baisse, voire remettre à plat, le projet d'aménagement de la frange sud du plateau. Cependant, afin de pouvoir lancer l'enquête publique avant la date butoir de fin 2014, la CAPS a décidé, le 13 novembre, de ne pas modifier le projet de CDT existant, mais de "coller" dans les cahiers d'enquête une motion répertoriant les amendements qu'elle souhaiterait apporter au projet de CDT. Les communes concernées ont pris des délibérations correspondantes ; citons celle de Palaiseau à titre d'exemple.

En effet, cette enquête publique a eu lieu du 17 novembre au 20 décembre 2014, sur la base du projet de CDT validé en septembre 2013, mais élaboré au printemps 2013. Le dossier d'enquête est disponible sur le site de la préfecture de l'Essonne, puis, suite à de nombreuses protestations, l'enquête publique à été prolongée jusqu'au 15 janvier 2015.
En outre, une réunion publique a été organisée le 8 janvier 2015 aux Ulis. Le sous-préfet, M. Daniel Barnier, y était présent et a scandalisé de nombreux présents en incitant au soutien au projet Paris-Saclay en tant qu'acte de foi républicain en réponse aux crimes terroristes de l'avant-veille.

Tout ce procédé est inacceptable. Nous avons déjà dénoncé la parodie de concertation autour du projet Paris-Saclay. Le présent dossier est non seulement obsolète, mais en outre il ne respecte pas les règles concernant le contenu d'un CDT (édictées par le décret n° 2011-724 du 24 juin 2011). C'est comme si on avait introduit dans la droit français une notion de contrat qui n'engage personne ! C'est ce genre de dérive qui avait fait parler le Conseil d'Etat de "droit à l'état gazeux" dans son rapport annuel de 1991. L'UASPS en a averti le préfet de région, d'autres associations en ont fait autant. Dans le même esprit, l'UASPS a également adressé une lettre aux membres de la commission d'enquête.

Comme il est inutile de commenter dans le détail un projet obsolète, l'avis de COLOS se borne, outre la dénonciation du non-respect des règles, à une critique de certains éléments du projet considérés comme des "fondamentaux". De même, l'UASPS s'est exprimée de façon synthétique dans sa Voix du Plateau n° 17 pour montrer que ce projet repose sur des bases très peu solides et qu'il est possible de faire autrement, mieux et beaucoup moins dispendieux. L'union régionale des associations de défense de l'environnement Ile-de-France Environnement (IDFE) et COLOS ont cosigné un communiqué de presse dénonçant les mauvaises bases sur lesquelles repose le projet Paris-Saclay. COLOS a par ailleurs soumis une évaluation de la fréquentation du RER B pour démontrer la non pertinence d'un métro en plus du RER.

IDFE a émis un avis très critique sur le projet de CDT.

De nombreux autres avis émanent du milieu associatif, tels que ceux de :

Parmi les nombreux avis personnels, citons les suivants :

D'après les informations recueillies, le registre d'enquête compte plus de 50 cahiers ; en outre, plusieurs centaines d'avis ont été soumis par courriel. Les opinions exprimées reflètent un rejet massif du projet de CDT proposé.

Nous ne répéterons jamais assez que le gigantisme visé par ce projet sera contre-productif parce que disproportionné au regard de la capacité d'accueil du territoire. Quelle attractivité pour un campus dont les routes d'accès seront sursaturées ?

Ce CDT doit être revu de fond en comble pour nous débarrasser de la perspective de création d'une ville nouvelle sur le plateau, sinon ce sera un projet perdant-perdant !

Après avoir interrogé les parties prenantes par un questionnaire circonstancié, la commission d'enquête a rendu son rapport d'enquête (217 pages) le 23 avril 2015. Ce rapport passe en revue les très nombreux avis déposés (676) et, considérant que le projet de CDT est amplement insuffisant et ne correspond plus à l'actualité, émet, à l'unanimité de ses membres, un avis défavorable. C'est une première : jusqu'ici, aucun projet de CDT n'avait subi ce sort.

Les maîtres d'ouvrages (représentants de l'Etat et les sept maires qui avaient cru devoir se lancer dans cette aventure incertaine) semblent avoir tout fait pour obtenir ce résultat qui les fragilise. Plutôt que de se rendre à la raison et de donner une suite favorable aux demandes de la commission d'enquête, ils sont restés sourds ou ont répondu que "ça s'arrangerait". Nous avions préconisé, puisque de toutes façons on n'était plus dans les temps, une suspension de l'enquête (prévue par le code de l'environnement) le temps d'établir un dossier un peu plus réaliste. A cette heure, bien sûr, nous ne savons pas quelles suites ils entendent donner. Tout ce qu'ils auront gagné, s'ils s'obstinent, c'est un risque de recours accru, et, s'ils veulent publier un nouveau document, une nécessaire enquête complémentaire.

Il n'y a pas de quoi être fiers et notre satisfaction, pour sincère qu'elle soit, reste essentiellement symbolique et morale. Le principe en la matière est en effet que, si le maître d'ouvrage doit avoir "pris en considération" l'enquête, il n'est nullement lié par les conclusions de la commission d'enquête et encore moins par les observations du public.

Dans son édition du 7 mai, le journal en ligne Essonne Info publie un article intitulé "Avis défavorable au projet Paris-Saclay : et maintenant ?", dans lequel il donne la parole à Thomas Joly, président de l'association Terre & Cité, qui exprime le souhait que "la puissance publique d’Etat ait la finesse de reprendre les conclusions de la commission d’enquête" en ajoutant que le projet "ne peut plus être imposé par le haut" et que "si on s’assoit brutalement dessus, on voit ce que ça a donné à Sivens".

Sur ces entrefaites, l'EPPS avance, imperturbable, ses travaux dont la conduite n'a que faire de l'avis d'un public peu conscient des intérêts supérieurs et probablement mal intentionné... C'est sans doute parce que nous avions mal compris et/ou parce que nous sommes des affreux NIMBY ! L'objet de l'enquête n'était nullement la poursuite de l'opération – d'intérêt national – Paris-Saclay qui, depuis le débat sur le Grand Huit, n'a donné lieu à aucune consultation, si ce n'est des enquêtes ponctuelles au résultat acquis d'avance et interdisant une discussion sur l'ensemble.

De plus, nul n'est en mesure de dire ce qu'implique exactement la signature d'un CDT. En dépit des obligations légales on ne peut plus claires, le préfet de région lui-même nous avait répondu que ce "contrat" n'emportait pas d'engagement, notamment sur le plan financier. La seule certitude (si on ose dire) qu'on puisse avoir est que ce n'est pas parce qu'un projet y figurerait qu'il devrait se réaliser, ni qu'un projet n'y figurant pas ne se réaliserait pas. Ainsi, on voit un maire inaugurer en fanfare un projet qu'il avait fait inscrire et que lui avait vendu quelques lobbyistes sans attendre les résultats de l'enquête et encore moins l'adoption du CDT. C'est comme cela que les choses se passent depuis plusieurs années. La consultation portait en grande partie sur des opérations déjà décidées et en cours dont il n'est évidemment pas question de discuter le bien-fondé et les modalités de réalisation.